jeudi 12 mars 2015

Saint Grégoire de Nysse, Le progrès spirituel, temps du carême

Saint Grégoire de Nysse
(335-395)

Mystique et théologien spéculatif de l’Église grecque. Frère cadet de Saint Basile de Césarée.


Le progrès spirituel

La grâce de l’Esprit et l’oeuvre bonne, concourant à la même fin, comblent de cette vie bienheureuse l’âme dans laquelle elles se réunissent.

Séparées au contraire, la grâce de l’Esprit et l’oeuvre bonne ne procureraient à l’âme aucun profit. Car la grâce de Dieu est de telle nature qu’elle ne peut visiter les âmes qui refusent le salut ; et le pouvoir de la vertu humaine ne suffit pas à lui seul pour élever jusqu’à la forme de la vie [céleste] les âmes qui ne participent pas à la grâce.
Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la ville, c’est en vain que veillent les gardes, Ps 126, 1.

Il faut à la fois mettre tout son entrain, toute sa charité, toute son espérance, dans les labeurs de la prière, du jeûne et des autres exercices, et rester cependant persuadé que les fleurs et les fruits de ce travail sont l’oeuvre de l’Esprit. Si quelqu’un en effet, met le succès à son compte et attribue tout à ses efforts, la jactance et l’orgueil pousseront chez lui, au lieu des bons fruits.

Que doit donc faire celui qui vit pour Dieu et pour son espérance, sinon soutenir allègrement les combats de la vertu, mais fonder sur Dieu seul la liberté de l’âme et son ascension vers la cime des vertus.

La vie parfaite est celle dont aucune borne ne limite le progrès dans la perfection. La croissance continuelle de la vie vers le meilleur est la voie pour l’âme vers la perfection.

Nulle limite ne saurait interrompre le progrès de la montée vers Dieu, puisque d’un côté le Beau n’a pas de borne et que de l’autre, la croissance du désir tendu vers Lui ne saurait être arrêtée par aucune satiété.

vendredi 6 mars 2015

Mère Isabelle Fondatrice des Orantes A, Relecture


6 mars 2015 - anniversaire de sa naissance

 
Relecture de Mère Isabelle
11 mars 1907


Elle a 60 ans.


Le sacrifice des consolations


La sécheresse, l'abandon, les souffrances spirituelles et intérieures, je les ai demandées. Je me suis toujours appuyée sur l'obéissance qui s'appuyait elle-même sur les demandes intimes de la grâce. Les ardeurs et les consolations des premières années ont été grandes, mais il fallait faire le sacrifice de ces consolations pour les âmes. J'étais éperdue.

Cela ressemblait si peu aux grâces du passé et du présent, cela me semblait si sombre, si affreux, et cependant je ne pouvais pas ne pas acquiescer. La volonté du Maître était trop absolue et, d'ailleurs, tout en sondant la profondeur du gouffre où il fallait me jeter, je n'en comprenais pas toutes les amertumes, puisque j'y étais poussée par cette force victorieuse du Christ qui triomphe de tout et qui porte tout. Le Père Picard avait compris ce que je ne comprenais pas et il contint mes ardeurs pendant longtemps, suivant en moi les exigences de la grâce, mais ne les devançant pas.

Notre Seigneur demandait, insistait toujours, jusqu'au jour où le Père me permit cette demande. Elle fut très vite suivie des plus grandes désolations, tellement que le Père me dit depuis qu'il en avait été lui-même effrayé. Désolations, purifications, désespoirs, désespérances, tentations contre la pureté et contre la Foi, dégoûts, révoltes, rejet de Notre Seigneur il me semble - ou plutôt je suis bien sûre d'avoir passé par tous ces états qui ne s'oublient pas et qui, s'ils sont douloureux, affreusement douloureux, sont tout autre chose que mon état actuel.

Je ne désire pas les consolations. Il me semblerait, si je les recherchais le moins du monde, que je ne suis pas fidèle à ma mission, que je ne travaille pas pour les âmes sous la forme que Dieu a choisie pour moi… Il y a aussi la fidélité et je crains toujours de n'être pas fidèle dans cet état où la prière m'est si fort à dégoût et où j'y suis si paresseuse.
 
Il ne me sert de rien de prendre un livre. Tel livre que je lirais volontiers tranquillement à ma table ne me dit plus rien quand il s'agit de l'oraison. La seule chose qui puisse me dire quelque chose à l'oraison, c'est cette parole intérieure du Verbe par laquelle je sens que je suis le temple du Saint-Esprit. Cette parole, je ne la saisis pas, je sens que, si je la saisissais, elle m'enflammerait. Je sens qu'Elle est esprit et vie. Je sens qu'Elle seule est esprit et vie et que l'Évangile lui-même, qui est cependant la parole de Dieu n'a pas cette saveur, cette vie, cette illumination que l'âme doit trouver dans son commerce avec Dieu. C'est un intermédiaire et mon âme ne peut pas supporter d'intermédiaire avec Dieu dans l'intime du coeur. Là il n'y a pas de paroles. Il y a la vie, l'union, la liquéfaction de ma pauvre âme pécheresse dans sa communication avec Dieu.

C’est de temps en temps, au fin fond de mon coeur que je sens cela, que je cherche cela. Tout le reste du temps se passe à regarder voler les mouches que je ne vois pas d'ailleurs parce que je n'y vois pas clair, mais si j'y voyais clair, comme les mouches m'amuseraient plus que mon oraison où je pense à n'importe quoi, à une foule de choses qui ne m'intéressent pas du tout.

lundi 2 mars 2015

Jean Tauler, La dureté de coeur (carême)

Jean Tauler 1300–1361)
Mystique Rhénan.

Sermon 18.

Jésus se manifesta aux onze.

Il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de coeur,

Mc 16,14.

La dureté de coeur
Qu’est-ce donc qui endurcit le coeur au point que l’homme est absolument sec et froid pour ce qu’il devrait faire de bien ? Les gens de cette espèce ne veulent pas qu’on les blâme.

Quel est le peuple dont Dieu se plaint ainsi ? C’est son peuple, ceux qui ont abandonné les eaux vivantes et, dans leur fond, il y a bien peu de lumière et de vie, il n’y a plus que des choses extérieures. Ils restent en arrière avec leurs pratiques et leurs oeuvres extérieures qu’ils se sont données à eux-mêmes. Tout leur vient du dehors, et à l’intérieur, dans le fond, où cela devrait sourdre et jaillir, il n’y a absolument rien. Ces gens ne se recueillent pas dans le fond. Ils n’en ont ni le désir, ni la soif. Quand ils ont fait à leur manière les choses qui leur ont été présentées du dehors, ils sont forts satisfaits. Ils s’en tiennent à leurs citernes qu’ils se sont creusées à eux-mêmes et n’ont pas le goût de Dieu. Ils ne boivent pas à la source d’eau vive, ils ne s’en inquiètent pas.

Ce qui a été apporté dans les citernes se corrompt et devient nauséabond. Cela sèche. La cause vient de ces pratiques personnelles, sensibles. Il ne reste alors dans le fond qu’orgueil, volonté propre, dureté de jugement, de parole, de conduite, blâme du prochain, non pas de ces blâmes exprimés avec amour et douceur, mais de ceux qu’on fait sans raison, et à contretemps.


Si jamais la fontaine d’eau vive avait jailli dans votre fond aride, jamais on n’eût trouvé chez vous une telle acception des personnes, mais toujours une charité égale, vraie, divine, jaillissant du fond. Il n’y aurait alors ni mépris, ni blâme, ni sévérité de jugement, ni dureté de coeur. Toute cette corruption fermente dans les citernes.

Celui qui lance son navire dans le redoutable océan de la divinité y navigue avec maîtrise, et finit par jeter ses rames dans la mer sans fond. Plus il attire en lui l’influx divin, plus il s’épanouit. Et Dieu vient combler intérieurement cette capacité, et cette plénitude crée une nouvelle réceptivité, un nouvel épanouissement.

Puissions-nous donc abandonner toutes nos citernes afin que soit versée en nous l’eau vive de la charité.