dimanche 31 août 2025

Saint Bruno de Segni (+1123), Avoir une place aux noces du Seigneur


 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 14,1,7-14

Un jour de sabbat, Jésus était entré chez un chef des pharisiens pour y prendre son repas. Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole: "Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place."


Commentaire sur l'évangile de Luc, 2, 14 ; PL 165, 406-407

 

 

 

Le Seigneur avait été invité à un banquet de noces. En observant les convives, il remarqua que tous choisissaient les premières places et les plus honorables, chacun désirant se placer avant tous les autres et s'élever au-dessus de tous. Il leur raconta cette parabole qui, même prise en son sens littéral, est bien utile et nécessaire à tous ceux qui aiment jouir de la considération des gens et qui ont peur d'être rabaissés. Elle accorde, en effet, des marques de courtoisie aux plus humbles et des signes de respect aux personnes d'un rang élevé.

Mais comme cette histoire est une parabole, elle renferme une signification qui dépasse le sens littéral. Voyons donc quelles sont ces noces et qui sont les invités aux noces. Celles-ci s'accomplissent quotidiennement dans l'Eglise. Chaque jour le Seigneur célèbre des noces, car chaque jour il s'unit les âmes fidèles lors de leur baptême ou de leur passage de ce monde-ci au Royaume céleste.

Eh bien! nous qui avons reçu la foi en Jésus Christ et le sceau du baptême, nous sommes tous invités à ces noces. Une table y est dressée pour nous, dont l'Ecriture dit : Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis, Ps 23,5. Nous y trouvons les pains de l'offrande, le veau gras, l'Agneau qui enlève les péchés du monde. Ici nous sont offerts et le pain vivant descendu du ciel et le calice de l'Alliance nouvelle. Ici nous sont présentés les évangiles et les épîtres des Apôtres, les livres de Moïse et des prophètes, qui sont comme des mets remplis de toutes les délices.

Que pourrions-nous donc désirer de plus ? Pourquoi choisirions-nous les premières places? Quelle que soit la place que nous occupions, nous avons tout en abondance et ne manquons de rien. Mais toi qui cherches à avoir la première place, qui que tu sois, va t'asseoir à la dernière place. Ne permets pas que ta science te gonfle d'orgueil, et ne te laisse pas exalter par la renommée. Mais plus tu es grand, plus il faut t'humilier en toute chose et tu trouveras grâce auprès de Dieu, Lc 1,30. si bien qu'au moment favorable il te dira: Mon ami, avance plus haut, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi, Lc 14,10.

Assurément, pour autant que cela dépendait de lui, Moïse occupait la dernière place. Lorsque le Seigneur voulut l'envoyer vers les fils d'Israël et l'invita à accéder à un rang plus élevé, il lui répondit: Je t'en prie, Seigneur, envoie qui tu voudras envoyer car je n'ai pas la parole facile, Ex 4,13. C'est comme s'il avait dit : "Je ne suis pas digne d'une fonction aussi haute." Saûl aussi se considérait comme un homme d'humble condition, quand le Seigneur fit de lui un roi. Et de même Jérémie, craignant de monter à la première place, disait : Oh! Seigneur mon Dieu! Vois donc: je ne sais pas parler, je ne suis qu'un enfant, Jr 1,6 !

C'est donc par l'humilité, non par l'orgueil, par les vertus, non par l'argent, que nous devons chercher à occuper la première place, le premier rang dans l'Église.

Clerus homéliaires

samedi 23 août 2025

Saint Anselme (+1109), Le prix du Royaume

 




21e dimanche du temps ordinaire C 24 août 2025



Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 
13,22-30

Dans sa marche vers Jérusalem, Jésus passait par les villes et les villages en enseignant. 
Quelqu'un lui demanda : "Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens à être sauvés?" 
Jésus leur dit : "Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas."







Dieu proclame qu'il a mis en vente le Royaume des cieux. Mais ce Royaume est si beau que l'oeil de l'homme mortel ne peut voir, ni l'oreille entendre, ni l'esprit imaginer sa félicité et sa gloire. Tout homme qui cherche à en connaître le prix obtiendra cette réponse : "Celui qui veut nous donner un Royaume dans le ciel n'a pas besoin d'argent terrestre, et nul ne peut rien donner à Dieu qui ne lui appartienne déjà, puisqu'il possède tout."

Par ailleurs, Dieu ne donne pas un bien si précieux d'une manière totalement gratuite, car il ne l'accorde pas à celui qui n'aime pas. Personne, en effet, ne donne une chose qui lui est chère à celui pour qui elle n'a aucune valeur. Et comme Dieu n'a pas besoin de ce que tu as, et qu'il n'a pas à donner un bien si précieux à celui qui ne veut pas aimer ce bien, ce qu'il demande simplement, c'est l'amour, sans lequel il ne doit pas faire ce don. Donne donc l'amour et reçois le Royaume ; aime, et il est à toi.

En somme, régner dans le ciel signifie simplement être uni à Dieu, à tous les anges et à tous les saints, ne faire qu'une volonté avec eux par l'amour, de façon à exercer tous ensemble une même puissance. Aime donc Dieu plus que toi-même et tu commenceras déjà à avoir ce que tu veux posséder parfaitement dans le ciel. Sois en accord avec Dieu et avec les hommes - à la seule condition qu'ils ne soient pas en désaccord avec lui - et tu commenceras aussitôt à régner avec Dieu et avec tous les saints. Car, dans le ciel, Dieu et tous les saints ajusteront leur volonté à la tienne, dans la mesure où tu auras ajusté en cette vie ta volonté à la leur. Si donc tu veux être roi dans le ciel, aime Dieu et les hommes comme tu dois le faire, et tu mériteras de devenir ce que tu désires.

Mais tu ne pourras parvenir à ce parfait amour qu'après avoir vidé ton coeur de tout autre amour. Voilà pourquoi ceux qui remplissent leur coeur de l'amour de Dieu et du prochain, ne veulent que les choses voulues par Dieu ou par les autres, pourvu que les choses voulues par ces derniers n'aillent pas à rencontre de la volonté de Dieu.

En conséquence, ils sont assidus aux prières, aux entretiens et aux pensées célestes, car il leur est doux de soupirer après Dieu, de lui parler, de l'entendre et de penser à celui qu'ils aiment tant. De là vient qu'ils sont joyeux avec ceux qui sont dans la joie, qu'ils pleurent avec ceux qui pleurent, qu'ils prennent les malheureux en pitié, qu'il donnent à ceux qui sont dans le besoin, car ils aiment les autres comme eux-mêmes. Aussi dédaignent-ils les richesses, les pouvoirs, les plaisirs, les honneurs et les louanges, car celui qui aime ces choses agit souvent contre Dieu et son prochain.

C'est ainsi que tout ce qu'il y a dans la Loi et les prophètes dépend de ces deux commandementsMt 22,40. Donc, celui qui veut parvenir à l'amour parfait avec lequel s'achète le Royaume, aimera le détachement, la pauvreté, l'effort et l'obéissance, comme font les saints.

Lettre 112, à Hugues le Reclus; Opera omnia, t. 3, 244-246.

in Clerus.org homéliaire 

samedi 9 août 2025

Saint Théodore le Studite, Tenez vos lampes allumées


19ème  dimanche du temps ordinaire année C

 

Tenez vos lampes allumées, 

St Luc 12,32-48, Mt 25,1-4

 

Il y a un temps pour les semailles et un temps pour la moisson, un temps pour la paix et un temps pour la guerre, un temps pour le travail et un temps pour le loisir. Mais pour le salut de l'âme, tout moment est propice, et toute journée est favorable, si du moins nous le voulons. Ainsi donc, soyons toujours en mouvement vers le bien, faciles à mouvoir, mettant la Parole en actes.

C'est toujours le temps de la prière, le temps de la réconciliation après les fautes, le temps de ravir le Royaume des cieux. Voici l'époux, dit l'Évangile, sortez à sa rencontre. Et les vierges sages sont allées à sa rencontre avec des lampes brillantes et elles sont entrées pour les noces ; tandis que les vierges folles retardées par l'absence de bonnes oeuvres criaient :

- Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !

Mais il a répondu : - En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas.

Et il ajoute : - Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l'heure.

Il faut donc veiller et éveiller l'âme à la sobriété, à la sainteté, à la purification, à l'illumination, pour éviter que la mort ne nous ferme la porte. Qu'ils sont heureux les serviteurs que le Maître, à son retour, trouvera vigilants.

Pour moi qui suis ton serviteur indigne, Dieu, veuille m'éveiller du sommeil de mon indolence. Fait brûler en moi le feu de Ton Amour divin ; que grandisse sans cesse au-dedans de moi mon désir de répondre à ton infinie tendresse. Ah! S'il m'était donné de pouvoir tenir à longueur de nuit ma lampe allumée et ardente dans Ton temple, Seigneur ! Si elle pouvait éclairer tous ceux qui pénètrent dans la maison de mon Dieu !

Seigneur, accorde-moi cet amour qui se garde de tout relâchement, que je sache tenir toujours ma lampe allumée, sans jamais la laisser s'éteindre ; qu'en moi elle soit lumière pour mon prochain.

samedi 2 août 2025

Saint Basile, Que faire des grandes richesses ?

 


18e dimanche du temps ordinaire C            3 août  2025


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc  
12,13-21



Du milieu de la foule, un homme demanda à Jésus : 

"Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage."


 

Il y avait, dit l'évangileun homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. Il se disait : Que vais-je faire ? Je vais démolir mes greniers et j'en construirai de plus grands, Lc 12,16-18. Pourquoi donc cette terre avait-elle tant rapporté à un homme qui ne devait faire aucun bon usage de cette fertilité ? C'était pour mieux mettre en lumière la patience de Dieu dont la bonté s'étend même sur de telles gens. Car il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes, et il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, Mt 5,45.

De quel état d'esprit cet homme faisait-il montre? L'aigreur du caractère, la haine des hommes, l'égoïsme, voilà ce qu'il offrait en retour à son bienfaiteur. Il oubliait que nous appartenons tous à la même nature. Il ne jugeait pas nécessaire de distribuer son superflu aux pauvres. Mais ses greniers craquaient, trop étroits pour ses immenses dépôts, et son coeur d'avare n'était pas encore comblé. D'ailleurs, ses nouvelles récoltes s'ajoutaient sans cesse aux anciennes et les apports annuels venaient accroître son opulence, de sorte qu'il se trouva dans une situation sans issue. Il n'acceptait pas de se défaire de ses anciennes réserves, tant il était avare, et il n'arrivait plus à entreposer les nouvelles récoltes trop abondantes. De là les projets non réalisés et les angoisses insurmontables.

Que vais-je faire ? Qui n'aurait pitié d'un homme en proie à un pareil tourment?  Car ce ne sont pas des bénéfices que la terre lui apporte, mais des soupirs. Elle ne lui procure pas d'abondants revenus, mais des soucis, des peines et un embarras extrême. Il pousse des lamentations comme le ferait un miséreux. Ne sont-ce pas là les plaintes de celui qui est réduit à la mendicité ? Que vais-je faire? Comment vais-je me nourrir, me vêtir ?


Considère, homme, celui qui t'a comblé de ses dons. Souviens-toi de toi-même. Rappelle-toi qui tu es, quelles affaires tu conduis, qui te les a confiées, pour quelle raison tu as été préféré à beaucoup. Tu es le serviteur du Dieu bon, tu as la charge de tes compagnons de service. Ne crois pas que tous ces biens sont destinés à ton ventre. Dispose des biens que tu as entre les mains comme s'ils appartenaient à autrui: ils te donneront du plaisir pendant quelque temps, puis s'évanouiront et disparaîtront. Mais il t'en sera demandé un compte détaillé.

Que vais-je faire ? La réponse était simple : "Je rassasierai les affamés, j'ouvrirai mes greniers et j'inviterai les pauvres. J'imiterai Joseph, j'annoncerai à tous ma charité, je ferai entendre une parole généreuse: 'Vous tous, qui manquez de pain, venez à moi. Que chacun prenne une part suffisante des dons que Dieu m'a accordés ! Venez y puiser comme à des fontaines publiques".


Homélie de saint Basile (+ 379),  Que faire des grandes richesses?

Homélies sur la richesse, 6, 1-2; PG 31, 261 -265. in Clerus.org

samedi 19 juillet 2025

Saint Bruno de Segni, + 1123, Vie contemplative et active

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10,38-42

Alors qu'il était en route avec ses disciples, Jésus entra dans un village. Une femme appelée Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une soeur, nommée Marie, qui, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.



Vie contemplative et vie active



Toutes les actions de notre Sauveur sont remplies de significations symboliques. Ce qu'il faisait en tous lieux avait valeur de signe. Ainsi accomplit-il toujours dans la sainte Église les actions visibles qu'il a faites en ce temps-là dans la bourgade de Béthanie. Le Seigneur Jésus entre donc chaque jour dans la bourgade de l'Eglise. Il ne dédaigne pas de la visiter continuellement. Marthe l'y accueille et le fait entrer dans sa maison.

Voyons donc ce que Marthe symbolise, de même que Marie. Chacune d'elles est vraiment le signe de quelque chose d'important, puisqu'à elles deux, elles constituent toute l'Église. Marthe symbolise la vie active, Marie la vie contemplative. Voilà pourquoi, d'après ce que dit l'Écriture, c'est Marthe, et non Marie, qui reçut le Christ dans sa maison.

Marie, en effet, n'a pas de maison, car la vie contemplative entraîne le renoncement à tous les biens de ce monde. Le contemplatif ne demande rien d'autre que de s'asseoir aux pieds du Seigneur, et de consacrer tout son temps à lire les Livres saints, à prier et à contempler Dieu. Il lui suffit encore d'écouter sans cesse la parole de Dieu et d'alimenter son âme plutôt que son corps. Telle a été la vie des prophètes, des Apôtres et de beaucoup d'autres: ils ont tout abandonné, ils ont fui le monde et se sont attachés à Dieu, eux qu'on croyait démunis de tout, et qui possédaient tout, 2 Co 6,10. Il n'y a que les hommes de bien qui mènent ce genre de vie.

Quant à la vie active, les bons et les méchants peuvent la mener. On l'appelle du reste "vie active" parce qu'elle est faite d'activités incessantes, de fatigues et de tâches sans fin, et qu'elle ne laisse presque aucune place à un moment de tranquillité. Mais nous ne parlons pas de cette espèce de vie active qui occupe les malfaiteurs, agite les tyrans, séduit les cupides, tourmente les adultères et incite tous les méchants à commettre de mauvaises actions. Comme nous ne parlons que de cette Marthe, soeur de Marie, nous ne parlons en réalité que de la vie active qui se rapproche le plus de la vie contemplative.

Cette sorte de vie active est pure, exempte de péché et très proche, en effet, de la vie contemplative. Que l'Apôtre prêche, qu'il baptise, qu'il travaille de ses mains pour vivre, qu'il parcoure les villes et qu'il se soucie de toutes les Églises, cela ne relève-t-il pas de la vie active ? Ainsi le même évangile dit-il, en parlant de Marthe, qu'elle était accaparée par les multiples occupations du service, Luc 10,40. Du reste, nous voyons encore aujourd'hui des chefs et ministres de l'Église s'affairer à courir partout, se fatiguer, se démener, se donner beaucoup de peine pour subvenir de multiples façons aux besoins de leurs frères, si bien que nous pouvons dire à juste titre qu'eux aussi sont accaparés par les multiples occupations du service.

La vie contemplative est donc meilleure que la vie active, pour la raison qu'elle est exempte de soucis et ne cessera jamais. Cependant la vie active est à ce point nécessaire que, sans elle, la vie contemplative elle-même ne peut exister ici-bas.

Prière

La seule chose qui soit vraiment nécessaire, c'est d'écouter ta Parole, ton Verbe, Seigneur Dieu. Aide-nous à ne pas nous inquiéter pour ce qui est vain, à garder la paix dans les occupations qui nous absorbent, et à trouver du temps pour nous tenir, émerveillés, aux pieds de Jésus Christ. Lui qui règne.


Homélie de saint Bruno de Segni (+1123) Commentaire sur l'évangile de Luc, 1, 10, PL 165, 390-391

Clerus.org 


samedi 28 juin 2025

Saint Hilaire, la foi de Pierre

 


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 16,13-19

 

 

 

Jésus était venu dans la région de Césarée-de-Philippe, et il demandait à ses disciples : "Le Fils de l'homme, qui est-il, d'après ce que disent les hommes ?"






Croire que Jésus est Fils de Dieu de nom et pas de nature, n'est pas la foi évangélique et apostolique. Car si ce nom désignait l'adoption sans que pour autant le Christ soit le Fils venu de Dieu, je me pose cette question: "Pourquoi le bienheureux Simon, fils de Yonas, a-t-il proclamé : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Mt 16,16 ? Est-ce parce qu'il a pu, comme tout le monde, naître fils de Dieu par le sacrement qui nous régénère?"

Si le Christ était fils de Dieu en fonction du nom qu'on lui attribue, je demande : "Qu'est-ce qui a été révélé à Pierre, non par la chair et le sang, mais par le Père qui est aux cieux ? Une croyance partagée par tous a-t-elle quelque mérite ? Et faut-il glorifier la révélation d'une chose que tout le monde connaît ? Si le Christ était fils par adoption, pourquoi la confession de Pierre lui vaudrait-elle d'être appelé bienheureux, alors qu'il n'aurait reconnu au Fils qu'une qualité commune à tous les saints ?"

Or, la foi de l'Apôtre s'est avancée au-delà des limites de l'intelligence humaine. Nul doute qu'il eût souvent entendu cette parole : Qui vous accueille m'accueille ; et qui m'accueille accueille celui qui m'a envoyé, Mt 10,40. Ainsi, Pierre savait déjà que le Christ était envoyé. Et celui qu'il savait être envoyé, il l'avait entendu déclarer: Tout m'a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, Mt 11,27. Qu'est-ce que le Père a révélé alors à Pierre, et qui lui valut la gloire de voir sa confession appelée bienheureuse ? Est-ce qu'il ne connaissait pas les noms du Père et du Fils ? Il les avait entendus fréquemment.

Mais il dit une parole qu'aucune voix humaine n'avait encore prononcée: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Mt 16,16. En vérité, alors même que le Christ demeurant dans la chair s'était déjà déclaré Fils de Dieu, l'Apôtre fut alors le premier à reconnaître dans la foi que la nature divine est en lui. Si Jésus, en effet, a loué Pierre, ce n'est pas uniquement pour l'avoir honoré par sa profession de foi, mais aussi pour avoir reconnu son mystère, car l'Apôtre n'a pas seulement confessé le Christ, mais il l'a aussi proclamé Fils de Dieu. Pour l'honorer, il lui eût certainement suffi de confesser: Tu es le Christ. Il eût pourtant été inutile de l'appeler Christ sans le proclamer Fils de Dieu. De fait, en disant: Tu es, Pierre a clairement déclaré la perfection et le caractère unique de la vraie nature du Fils. Et en disant: Celui-ci est mon Fils, Mt 17,5, le Père a révélé à Pierre qu'il devait proclamer : Tu es le Fils de Dieu. Car la parole Celui-ci est est l'indication donnée par celui qui révèle, tandis que l'adhésion donnée par celui qui confesse sa foi s'exprime par la réponse : Tu es.

L'Église est donc bâtie sur la pierre de cette confession. Mais un esprit de chair et de sang ne peut découvrir le sens de cette profession de foi. Appeler le Christ Fils de Dieu et, de plus, croire qu'il l'est, est un mystère qui ne peut être révélé que par Dieu. Ou alors, serait-ce le nom divin qui aurait été révélé à Pierre plutôt que la filiation de nature ? Pour ce qui est du nom, Pierre avait déjà souvent entendu le Seigneur se proclamer Fils de Dieu. Sur quoi porte donc cette glorieuse révélation ? Elle concerne certainement la nature et pas le nom, qui avait déjà été souvent proclamé.

Cette foi est le fondement de l'Église. Grâce à cette foi, la puissance de la Mort, Mt 16,18 ne pourra rien contre l'Eglise. Cette foi possède les clefs du Royaume des cieux et ce qui a été délié ou lié par elle sur la terre, est délié et lié dans les cieux. Cette foi est le don de la révélation du Père. Elle ne déclare pas mensongèrement que le Christ a été créé de rien, mais elle le proclame Fils de Dieu selon la nature qui lui est propre.
 

 Il ne reconnaît pas en Pierre, vieillard proclamé bienheureux, le témoin de la foi, le témoin pour qui le Christ a prié le Père afin que sa foi ne défaille pas, Lc 22,32 dans la tentation.

Au Christ qui le lui demandait, Pierre a réaffirmé son amour pour Dieu, et il s'est affligé de se voir encore mis à l'épreuve comme quelqu'un qui doute et qui hésite, et d'être interrogé une troisième fois. Et ainsi purifié de ses trois tentations, il a mérité de s'entendre dire trois fois par le Seigneur : Sois le berger de mes brebis, Jn 21,17. Alors que tous les Apôtres gardaient le silence, il a reconnu, grâce à une révélation du Père, que le Christ est le Fils de Dieu. Et sa bienheureuse confession de foi lui a valu une gloire suréminente, au-delà de ce que peut concevoir la faible nature humaine.


Traité de saint Hilaire (+ 367) sur la Trinité
La Trinité, livre 6, 36-37; CCL 62, 239-242.

samedi 21 juin 2025

Guigues II le Chartreux, qui mange mon corps


 

Guigues II le Chartreux, 12ème siècle. 9ème prieur de la grande chartreuse.





Qui mange mon corps

Le pain de l’âme, c’est le Christ, « le pain vivant qui est descendu du ciel » et qui nourrit les siens maintenant par la foi,

et dans le monde futur par le vision.

Par la foi, le Christ habite en toi,

car la foi au Christ c’est le Christ dans ton cœur.

Tu possèdes le Christ dans la mesure où tu crois en lui.

Dans l’amour se trouve toute la force de l’âme.

C’est là qu’afflue toute sa nourriture vitale.

Et la vie se diffuse dans tous les membres que sont les vertus.

« En toute vigilance, dit le Seigneur, garde ton cœur, car c’est de lui que jaillit la vie », Pr 4,23. L’amour, comme le cœur, est placé au centre.

Vers lui progressent en se consolidant les trois choses qui le précèdent : la foi, la méditation et l’intelligence. De lui partent en bonne direction celles qui en découlent.

Manger spirituellement le corps du Christ, c’est donc avoir en lui une foi pure, chercher le contenu de cette foi par une méditation fervente et assidue, trouver par l’intelligence ce que nous cherchons, aimer ardemment ce que nous avons découvert, imiter dans la mesure du possible celui que nous aimons, adhérer sans cesse à lui en l’imitant et, par cette adhésion, parvenir à l’union éternelle.

 Méditations, Sources chrétiennes n° 163, Le Cerf, Paris, 1970, 180.

 

 

samedi 14 juin 2025

Dom Prosper Guéranger, 19ème siècle. Moine bénédictin, Dieu trinité


 15  juin 2025 Jn 16,12-15 SAINTE TRINITE

 

Dieu Trinité

Nous avons vu les saints apôtres, au jour de la Pentecôte, recevoir l’effusion de l’Esprit Saint, et bientôt, fidèles à l’ordre du Maître, Mt 28, 19, ils vont partir enseigner toutes les nations, et baptiser les hommes au nom de la Sainte Trinité. La solennité qui a pour but d’honorer Dieu unique en trois personnes, suit donc immédiatement celle de la Pentecôte.

Dieu Trinité est le terme de notre foi. La liturgie qui a pour objet la glorification de Dieu et la commémoration de ses œuvres, suit chaque année les manifestations dans lesquelles Dieu s’est déclaré tout entier aux hommes.

Sous les couleurs de l’Avent, nous avons vécu l’attente. Le monde implorait un libérateur, un Messie. Et le Fils de Dieu devait être ce libérateur, ce Messie. En adorant le Fils, nous adorons aussi le Père, qui nous l’envoyait dans la chair, et auquel il est consubstantiel : c’est le Verbe de vie, que nous avons vu, que nous avons entendu, que nos mains ont touché 1 Jn1, 1. Dans cette seconde personne divine, nous rencontrons le médiateur qui réunit la création à son auteur, le rédempteur de nos péchés, la lumière de nos âmes, l’Époux de l’Église auquel elles aspirent.

À la Pentecôte, nous célébrons la venue de l’Esprit Saint, l’Esprit sanctificateur, annoncé comme devant venir perfectionner l’œuvre du Fils de Dieu. Il a mission de demeurer avec nous, Jn 14, 16. Il maintient la sainte Église dans la vérité que le Fils lui a enseignée. Il est le principe de la sanctification dans nos âmes, où il veut faire sa demeure. Le mystère de la Sainte Trinité est pour nous, non seulement un dogme intimé à notre pensée par la révélation, mais une vérité connue de nous par expérience intérieure. Nous sommes adoptés par le Père, et nous devenons frères et cohéritiers du Fils, quand nous nous laissons habiter par l’Esprit Saint.

Sélection, soeur Monique-Anne Giroux, Les chemins de la grâce, T 2.


samedi 7 juin 2025

Saint Grégoire le Grand, Pentecôte

 


Ce jour-là, soit cinquante jours après Pâques, les apôtres et Marie sont réunis dans le Cénacle pour célébrer la fête de Chavouot. 

Soudain, « un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. 

Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. 

Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit. » 








Quelles sont les origines de la fête de la Pentecôte ?

Origines juives

La Pentecôte trouve ses origines dans la fête juive de Chavouot qui est célébrée, elle aussi, cinquante jours après la Pâque juive (Pessah). Lors de cette fête, les juifs commémorent le don de la Torah à Moïse (Ex 19, 19), marquant ainsi l’Alliance entre Dieu et son peuple.


La descente de l’Esprit Saint 

L’événement de la Pentecôte survient dix jours après l’Ascension du Christ, après que Jésus a promis à ses disciples qu’ils vont « recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ».

La descente de l’Esprit Saint, promise par Jésus, est relaté dans les Actes des Apôtres (chapitre 2). Ce livre suit les Évangiles : il raconte la naissance de l’Église et la vie des premiers chrétiens. Par le don de l’Esprit, Dieu répand dans tous les hommes sa connaissance. Nos sens ne sont pas naturellement ouverts aux choses de Dieu. Il faut le vent violent de la Pentecôte, Ac 2,2, pour briser notre surdité et notre insensibilité aux choses de Dieu. Il y a la Pentecôte historique rapportée dans les Actes des Apôtres.

https://www.lejourduseigneur.com/fetes-chretiennes/la-pentecote

saint Grégoire le Grand

Il est une pentecôte intérieure et toute personnelle qui se passe sans témoin dans le cœur du croyant. Entendre la voix du Seigneur, c’est percevoir en soi l’inspiration de sa grâce, c’est-à-dire le Souffle de l’Esprit. Alors notre cœur est pénétré d’une force intérieure qui l’incite à l’amour de Dieu. En recevant l’Esprit Saint, les Apôtres ont été introduits dans la pensée de Dieu. Il peut arriver que l’Esprit se fasse pour l’âme petit ruisseau ou torrent.

Pour pouvoir parler du Christ avec autorité, l’apôtre doit avoir reçu l’intelligence du mystère que donne l’Esprit Saint. Ce n’est pas une sagesse humaine qui peut pénétrer les mystères de l’Incarnation. Il faut la puissance de l’Esprit. Quand un homme parle de Dieu à d’autres, l’Esprit est là en celui qui parle comme en celui qui écoute, à la mesure de la disponibilité intérieure de celui qui parle et de celui qui écoute. Pourquoi les auditeurs comprennent-ils différemment ce qu’exprime une voix unique ? C’est que, par le moyen de ce qui est adressé à tous, le Maître intérieur instruit certains d’une manière toute spéciale. Le bruit de la voix n’enseigne rien si l’esprit de l’auditeur n’est pas oint de l’Esprit Saint. Les prédicateurs sont les coopérateurs de Dieu, et tandis que le prédicateur agit à l’extérieur par son ministère d’exhortation, Dieu agit intérieurement par Son Esprit. - Celui qui plante n’est rien. C’est Dieu qui donne la croissance, c’est Dieu, par sa grâce intérieure, qui ouvre invisiblement l’accès du cœur.

Lire l’Écriture ou écouter les prédicateurs ne suffit pas pour changer de vie. Il ne faut pas compter sur ses propres forces, mais tout attendre du don de l’Esprit. Cette attente n’est pas une attitude paresseuse ou purement passive. L’enseignement des hommes est le plus souvent indispensable pour qu’agisse l’Esprit. À la Pentecôte, l’Esprit a rendu les apôtres ardents et éloquents, il les a embrasés et les a faits parler. Ceux qui sont remplis de l’Esprit aiment les réalités célestes dont ils parlent. Même ce que nous ne comprenons pas encore pleinement, nous pouvons déjà l’aimer du fond du cœur, parce que nous avons reçu la promesse de l’Esprit. L’amour précède en quelque sorte la connaissance. Quand le feu de l’amour se répand, le cœur est atteint comme l’intelligence, et alors plus rien n’a vraiment d’importance pour l’homme que Dieu.

On ne comprend bien les choses de Dieu que si on va jusqu’à les aimer et tout cela vient de l’Esprit Saint. On ne peut aimer que ce que l’on connaît et, comme ici-bas on connaît les choses de Dieu par la foi, on ne peut aimer que ce qu’on croit. La foi précède la charité. L’esprit ne voit pas parfaitement ce qu’il aime, il ne fait que commencer à le voir. C’est pourquoi la vie présente dans la foi est une vie de désir. Quand on a commencé à connaître Dieu par la foi, on aspire à le voir face à face.

Soeur Monique-Anne GIROUX, Les chemins de la grâce, T 2, 250-251.


Syméon le Nouveau Théologien, prière à l'Esprit saint


Esprit Saint,

c'est toi qui m'environnes,
Toi qui m'enflammes,
Et qui allumes en mon cœur en peine,
L'amour infini de Dieu et de mes frères.
Car c'est toi le docteur des prophètes,
Le compagnon de tous les apôtres,
La force des martyrs,
L'inspiration des Pères et des docteurs,
Et la perfection de tous les saints.


dimanche 4 mai 2025

Saint Grégoire le Grand, le bon pasteur

4ème dimanche de Pâques, 2025


St Jean 10,11-18 
St Jean  10,27-38

En ce temps-là, Jésus dit aux pharisiens : « Je suis le Bon  Pasteur. Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, celui qui n’est pas le pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit. Et le loup les emporte et les disperse. Le mercenaire s’enfuit parce qu’il est mercenaire et qu’il ne se soucie pas des brebis. Je suis le Bon Pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père. Et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura une seule bergerie et un seul Pasteur ».

Vous avez entendu, frères très chers, l’instruction qui vous est adressée par la lecture d’Evangile ; vous avez entendu aussi le péril que nous courons. Voici en effet que celui qui est bon, non par une grâce accidentelle, mais par essence, déclare : « Je suis le Bon Pasteur ». Et nous donnant le modèle de la bonté que nous devons imiter, il ajoute : « Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Il a fait ce qu’il nous a enseigné ; il a montré ce qu’il nous a ordonné. Le Bon Pasteur a donné sa vie pour ses brebis au point de changer son corps et son sang en sacrement pour nous, et de rassasier par l’aliment de sa chair les brebis qu’il avait rachetées. Il nous a tracé la voie du mépris de la mort, pour que nous la suivions ; il a placé devant nous le modèle auquel nous devons nous conformer : dépenser d’abord nos biens extérieurs en toute charité pour les brebis du Seigneur, et si nécessaire, donner même à la fin notre vie pour elles. La première forme de générosité, qui est moindre, conduit à cette dernière, qui est plus élevée. Mais puisque l’âme, par laquelle nous vivons, est incomparablement supérieure aux biens terrestres que nous possédons au-dehors, comment celui qui ne donne pas de ses biens à ses brebis serait-il disposé à donner sa vie pour elles ? Car il en est qui ont plus d’amour pour les biens terrestres que pour les brebis, et qui perdent ainsi à bon droit le nom de pasteur. C’est d’eux que le texte ajoute aussitôt après : « Le mercenaire, celui qui n’est pas le pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ».
 
Il n’est pas appelé pasteur, mais mercenaire, celui qui fait paître les brebis du Seigneur, non parce qu’il les aime du fond du cœur, mais en vue de récompenses temporelles. Il est mercenaire, celui qui occupe la place du pasteur, mais ne cherche pas le profit des âmes. Il convoite avidement les avantages terrestres, se réjouit de l’honneur de sa charge, se repaît de profits temporels et se complaît dans le respect que lui accordent les hommes. Telles sont les récompenses du mercenaire : il trouve ici-bas le salaire qu’il désire pour la peine qu’il se donne dans sa charge de pasteur, et se prive ainsi pour l’avenir de l’héritage du troupeau. Tant que n’arrive aucun malheur, on ne peut pas bien discerner s’il est pasteur ou mercenaire. En effet, au temps de la paix, le mercenaire garde ordinairement le troupeau tout comme un vrai pasteur. Mais l’arrivée du loup montre avec quelles dispositions chacun gardait le troupeau. Un loup se jette sur les brebis chaque fois qu’un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles et les humbles. Celui qui semblait être le pasteur, mais ne l’était pas, abandonne alors les brebis et s’enfuit, car craignant pour lui-même le danger qui vient du loup, il n’ose pas résister à son injuste entreprise. Il fuit, non en changeant de lieu, mais en refusant son assistance. Il fuit, du fait qu’il voit l’injustice et qu’il se tait. Il fuit, parce qu’il se cache dans le silence. C’est bien à propos que le prophète dit à de tels hommes : « Vous n’êtes pas montés contre l’ennemi, et vous n’avez pas construit de mur autour de la maison d’Israël pour tenir bon dans le combat au jour du Seigneur »Ez 13, 5. Monter contre l’ennemi, c’est s’opposer par la voix libre de la raison à tout homme puissant qui se conduit mal. Nous tenons bon au jour du Seigneur dans le combat pour la maison d’Israël, et nous construisons un mur, quand par l’autorité de la justice, nous défendons les fidèles innocents victimes de l’injustice des méchants. Et parce que le mercenaire n’agit pas ainsi, il s’enfuit lorsqu’il voit venir le loup.
 
Mais il y a un autre loup, qui ne cesse chaque jour de déchirer, non les corps, mais les âmes : c’est l’esprit malin. Il rôde en tendant des pièges autour du bercail des fidèles, et il cherche la mort des âmes. C’est de ce loup qu’il est question tout de suite après : « Et le loup emporte les brebis et les disperse ». Le loup vient et le mercenaire fuit, quand l’esprit malin déchire les âmes des fidèles par la tentation et que celui qui occupe la place du pasteur n’en a pas un soin attentif. Les âmes périssent, et il ne pense, lui, qu’à jouir de ses avantages terrestres. Le loup emporte les brebis et les disperse : il entraîne tel homme à la luxure, enflamme tel autre d’avarice, exalte tel autre par l’orgueil, jette tel autre dans la division par la colère; il excite celui-ci par l’envie, renverse celui-là en le trompant. Comme le loup disperse le troupeau, le diable fait mourir le peuple fidèle par les tentations. Mais le mercenaire n’est enflammé d’aucun zèle ni animé d’aucune ferveur d’amour pour s’y opposer : ne recherchant en tout que ses avantages extérieurs, il n’a que négligence pour les dommages intérieurs du troupeau. Aussi le texte ajoute-t-il aussitôt : « Le mercenaire s’enfuit parce qu’il est mercenaire et qu’il ne se soucie pas des brebis ». En effet, la seule raison pour laquelle le mercenaire s’enfuit, c’est qu’il est mercenaire. C’est comme si l’on disait clairement : « Demeurer au milieu des brebis en danger est impossible à celui qui conduit les brebis, non par amour des brebis, mais par recherche de profits terrestres ». Car du fait qu’il s’attache aux honneurs et se complaît dans les avantages terrestres, le mercenaire hésite à s’opposer au danger, pour ne pas perdre ce qu’il aime. Après nous avoir montré les fautes du faux pasteur, notre Rédempteur revient sur le modèle auquel nous devons nous conformer, quand il affirme : « Je suis le Bon Pasteur ». Et il ajoute : « Je connais mes brebis — c’est-à-dire :  je les aime — et mes brebis me connaissent », comme pour dire clairement : « Elles me servent en m’aimant ». Car il ne connaît pas encore la Vérité, celui qui ne l’aime pas.
 
Maintenant que vous avez entendu, frères très chers, quel est notre péril, considérez également, dans les paroles du Seigneur, quel est le vôtre. Voyez si vous êtes de ses brebis, voyez si vous le connaissez, voyez si vous percevez la lumière de la Vérité. Précisons : si vous la percevez, non par la seule foi, mais par l’amour. Oui, précisons : si vous la percevez, non en vous contentant de croire, mais en agissant. En effet, le même évangéliste Jean qui parle dans l’évangile de ce jour déclare ailleurs « Celui qui dit connaître Dieu, mais ne garde pas ses commandements, est un menteur », 1 Jn 2, 4. C’est pourquoi ici le Seigneur ajoute aussitôt : « Comme le Père me connaît et que je connais le Père. Et je donne ma vie pour mes brebis ». C’est comme s’il disait clairement : « Ce qui prouve que je connais le Père et que je suis connu du Père, c’est que je donne ma vie pour mes brebis ; je montre combien j’aime le Père par cette charité qui me fait mourir pour mes brebis ». Mais parce qu’il était venu racheter, non seulement les Juifs, mais aussi les païens, il ajoute : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura une seule bergerie et un seul Pasteur ». C’est notre rédemption à nous, venus des peuples païens, que le Seigneur avait en vue lorsqu’il parlait de conduire aussi d’autres brebis. Et cela, mes frères, vous pouvez en constater chaque jour la réalisation. C’est ce que vous voyez aujourd’hui accompli dans la réconciliation des païens. Il a pour ainsi dire constitué une seule bergerie avec deux troupeaux, en réunissant les peuples juif et païen dans une même foi en sa personne, comme l’atteste Paul par ces paroles : « Il est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un »Ep 2, 14. Il conduit les brebis à sa propre bergerie quand il choisit pour la vie éternelle des âmes simples de l’un et l’autre peuple. C’est de ces brebis que le Seigneur dit ailleurs : « Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent, et je leur donne la vie éternelle »Jn 10, 27-28. C’est d’elles qu’il déclare un peu plus haut : « Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, et il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages »Jn 10, 9. Il entrera en venant à la foi ; il sortira en passant de la foi à la vision face à face, de la croyance à la contemplation; et il trouvera pour s’y rassasier des pâturages d’éternité (suite et fin du sermon de Saint Grégoire le Grand).

(Début du sermon de Saint Grégoire le Grand) « Les brebis du Seigneur trouvent des pâturages, puisque tous ceux qui le suivent d’un cœur simple se rassasient en pâturant dans des prairies éternellement vertes.
Et quels sont les pâturages de ces brebis, sinon les joies intérieures d’un paradis à jamais verdoyant ? Car les pâturages des élus sont la présence du visage de Dieu, dont une contemplation ininterrompue rassasie indéfiniment l’âme d’un aliment de vie. Ceux qui ont échappé aux pièges du plaisir fugitif goûtent, dans ces pâturages, la joie d’un éternel rassasiement. Là les chœurs des anges chantent des hymnes; là sont réunis les citoyens du Ciel. Là se célèbre une fête solennelle et douce pour ceux qui reviennent de ce triste et pénible exil terrestre. Là se rencontrent les chœurs des prophètes qui ont prévu l’avenir; là siège pour juger le groupe des apôtres ; là est couronnée l’armée victorieuse des innombrables martyrs, d’autant plus joyeuse là-haut qu’elle a été plus cruellement éprouvée ici-bas; là, les confesseurs sont consolés de leur constance par la récompense qu’ils reçoivent; là se rencontrent les hommes fidèles dont les voluptés du monde n’ont pu amollir la robuste virilité, là les saintes femmes qui, outre le monde, ont vaincu la faiblesse de leur sexe, là les enfants qui ont devancé le nombre des années par la maturité de leurs mœurs, là enfin les vieillards que l’âge a rendus si faibles, sans pourtant leur faire perdre le cœur à l’ouvrage.

Recherchons donc, frères très chers, ces pâturages où nous partagerons la fête et la joie de tels concitoyens. Le bonheur même de ceux qui s’y réjouissent nous y invite. N’est-il pas vrai que si le peuple organisait quelque part une grande foire, ou qu’il accourait à l’annonce de la dédicace solennelle d’une église, nous nous empresserions de nous retrouver tous ensemble ? Chacun ferait tout pour y être présent, et croirait avoir beaucoup perdu s’il n’avait eu le spectacle de l’allégresse commune. Or voici que dans la cité céleste, les élus sont dans l’allégresse et se félicitent à l’envi au sein de leur réunion; et cependant, nous demeurons tièdes quand il s’agit d’aimer l’éternité, nous ne brûlons d’aucun désir, et nous ne cherchons pas à prendre part à une fête si magnifique. Et privés de ces joies, nous sommes contents !

Réveillons donc nos âmes, mes frères ! Que notre foi se réchauffe pour ce qu’elle a cru, et que nos désirs s’enflamment pour les biens d’en haut : les aimer, c’est déjà y aller. Ne laissons aucune épreuve nous détourner de la joie de cette fête intérieure : lorsqu’on désire se rendre à un endroit donné, la difficulté de la route, quelle qu’elle soit, ne peut détourner de ce désir. Ne nous laissons pas non plus séduire par les caresses des réussites. Combien sot, en effet, est le voyageur qui, remarquant d’agréables prairies sur son chemin, oublie d’aller où il voulait. Que notre âme ne respire donc plus que du désir de la patrie céleste, qu’elle ne convoite plus rien en ce monde, puisqu’il lui faudra assurément l’abandonner bien vite. Ainsi, étant de vraies brebis du céleste Pasteur, et ne nous attardant pas aux plaisirs de la route, nous pourrons, une fois arrivés, nous rassasier dans les pâturages éternels ».

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Extrait d’un Sermon sur le Bon Pasteur, par le Pape Saint Grégoire le Grand,

mardi 29 avril 2025

Saint Augustin, Aimer le Christ, aimer nos frères

 

3e dimanche de Pâques C


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
21,1-19

Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord du lac de Tibériade, et voici comment. Il y avait là Simon-Pierre avec Thomas, dont le nom signifie "Jumeau", Nathanaël de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres disciples. Simon-Pierre leur dit : "Je m'en vais à la pêche."




Voici que le Seigneur, après sa résurrection, apparaît de nouveau à ses disciples. Il interroge l'apôtre Pierre, il oblige celui-ci à confesser son amour, alors qu'il l'avait renié trois fois par peur. Le Christ est ressuscité selon la chair, et Pierre selon l'esprit. Comme le Christ était mort en souffrant, Pierre est mort en reniant. Le Seigneur Christ était ressuscité d'entre les morts, et il a ressuscité Pierre grâce à l'amour que celui-ci lui portait. Il a interrogé l'amour de celui qui le confessait maintenant, et il lui a confié son troupeau.

Qu'est-ce donc que Pierre apportait au Christ du fait qu'il aimait le Christ ? Si le Christ t'aime, c'est profit pour toi, non pour le Christ. Si tu aimes le Christ, c'est encore profit pour toi, non pour lui. Cependant le Seigneur Christ, voulant nous montrer comment les hommes doivent prouver qu'ils l'aiment, nous le révèle clairement: en aimant ses brebis.

Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? - Je t'aime. - Sois le pasteur de mes brebis. Et cela une fois, deux fois, trois fois. Pierre ne dit rien que son amour. Le Seigneur ne lui demande rien d'autre que de l'aimer, il ne lui confie rien d'autre que ses brebis. Aimons-nous donc mutuellement, et nous aimerons le Christ. Le Christ, en effet, éternellement Dieu, est né homme dans le temps. Il est apparu aux hommes comme un homme et un fils d'homme. Étant Dieu dans l'homme, il a fait beaucoup de miracles. Il a beaucoup souffert, en tant qu'homme, de la part des hommes, mais il est ressuscité après la mort, parce que Dieu était dans l'homme. Il a encore passé quarante jours sur la terre, comme un homme avec les hommes. Puis, sous leurs yeux, il est monté au ciel comme étant Dieu dans l'homme, et il s'est assis à la droite du Père. Tout cela nous le croyons, nous ne le voyons pas. Nous avons reçu l'ordre d'aimer le Christ Seigneur que nous ne voyons pas, et nous crions tous : "J'aime le Christ".

Mais, si tu n'aimes pas ton frère que tu vois, comment peux-tu aimer Dieu que tu ne vois pas 1 Jn 4,20 ? En aimant les brebis, montre que tu aimes le Pasteur, car justement, les brebis sont les membres du Pasteur. Pour que les brebis soient ses membres, le Pasteur a consenti à devenir la brebis conduite à la boucherie Is 53,7. Pour que les brebis soient ses membres, il a été dit de lui : Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde Jn 1,29. Mais cet agneau avait une grande force. Veux-tu savoir quelle force s'est manifestée chez cet agneau ? L'agneau a été crucifié, et le lion a été vaincu.

Voyez et considérez avec quelle puissance le Seigneur Christ gouverne le monde, lui qui a vaincu le démon par sa mort. Aimons-le donc, et que rien ne nous soit plus cher que lui.


Sermon Guelferbytanus 16, 1, PLS 2, 579
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