Né à Tournai vers 1070, Guerric passe à Clairvaux pour rencontrer Bernard dont il a entendu parler. Ce dernier le presse de rester. Il entre donc à Clairvaux et se fait son disciple jusqu'en 1138, année où il est envoyé à Igny, près de Reims, dont il devient l'abbé. Il fut un abbé exemplaire, dispensant son enseignement dans l'humilité et la simplicité, malgré une santé déficiente. Il s'éteignit le 19 août 1157, après 19 années d'abbatiat. Il est vénéré comme bienheureux et, dans le diocèse de Reims, comme saint.
Sermon pour la fête de la Toussaint (Extraits)
« Bienheureux les pauvres de cœur
(Mt 5,3). » Je
reconnais ici ce signe noble et éclatant que le Fils de Dieu, avant de naître
dans la chair, donnait à l'avance, en se rendant témoignage, afin de se faire
reconnaître.
Plus tard,
lorsqu'il fut né, mais non encore connu, il enseigna que c'était là la marque
qui lui convenait : « L'Esprit du
Seigneur est sur moi, il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, Lc
4,18. » Voici que les pauvres entendent la bonne nouvelle, voici qu'on
annonce aux pauvres l'évangile du royaume : « Heureux les pauvres de cœur s'écrie Jésus, parce que le royaume des
cieux est à eux, Mt 5,3 » … Heureux début de l'alliance nouvelle, du
Nouveau Testament, il engage l'homme à écouter, quelque infidèle et quelque
paresseux qu'il soit, mais surtout il le provoque à l'action, puisque la
béatitude est promise aux malheureux, et le royaume des cieux à ceux qui sont
pauvres et exilés…
En effet, la première vertu de ceux qui commencent, c'est le « renoncement » au
monde, qui nous rend pauvres de cœur…
Quelle gloire, quelle récompense abondante atteindra dans le ciel le comble de
cette perfection ! Nous pouvons l'estimer d'une certaine manière, parce
que le Seigneur attache au premier degré un si grand bonheur à ceux qui
renoncent au siècle, en disant : « Heureux
les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux. » Oui, ils sont
bienheureux, ceux qui rejettent les fardeaux sans valeurs mais bien pesants de
ce monde, ne voulant devenir riches que du seul Créateur du monde, et être
comme n'ayant rien à cause de lui, tout en possédant toutes choses par lui. Ne
possèdent-ils pas toutes choses, ceux qui ont en leur possession celui qui
contient tout et dispose de tout…
Plus l'avare possède, plus il éprouve de besoins. Il ne possède pas le moins du
monde ce qu'il croit avoir, il est possédé par l'or, il ne le possède pas,
esclave de l'argent qu'il a, serviteur de l'avarice, passionnément attaché à sa
bourse, idolâtré exécrable qui tient pour Dieu ses pièces de monnaie. Dès
maintenant, la justice exerce admirablement sa vengeance sur ces pécheurs, en
faisant que les choses qu'ils aiment leur servent de tourments, et que leurs
vices soient leurs supplices. En effet, cet argent qui, répandu ou donné d'un
coup, accroît la justice du juste et l'enrichit plus véritablement, fait
souffrir si on le garde, et souille celui qui en a été prodigue, si on le
dépense follement. Oui, bienheureux les pauvres du Christ, leur foi a si bien
trompé la sagesse du monde, que seule elle a découvert quel est le meilleur
usage des richesses, seule elle a appris, que si on les aime, elles rendent
pauvre et malheureux, et que si on les méprise pour le Christ, elles rendent
riche et heureux. « Je te bénis
Père du ciel et de la terre, d’avoir caché ces vérités aux sages et aux
prudents et les avez révélées aux petits, c'est-à-dire aux humbles, Mt 11,25 »,
qui ne sont autres que les pauvres de cœur dont on proclame la béatitude…
Bien que vous le sachiez, je veux vous rappeler néanmoins, mes frères, que la
véritable et heureuse pauvreté de cœur consiste plus dans l'humilité du cœur,
que dans la modicité du patrimoine que l'on possède, plus dans l'absence de
tout orgueil, que dans le mépris de toute richesse. Parfois il y a utilité à
avoir du bien mais il est toujours dommageable de garder de l’orgueil. Le démon
n'a rien ou ne désire rien avoir en ce monde, et ce qui le damne uniquement ou
principalement c'est l'orgueil…
Il sert donc peu de renoncer aux possessions du monde, si on n'y renonce pas aussi par ses mœurs. Bien plus, il est ridicule et sot d'être dépourvu de richesses et d'être rempli des vices, de se rendre pauvre de biens sans s'enrichir de vertus, de quitter tout, sans suivre le Christ, ou ce qui est pire encore, dans le camp du Christ, de favoriser le parti de l'Antéchrist. Il sert le parti de l'Antéchrist, celui qui combat pour l'orgueil, et attaque par ses mœurs le nom sacré qu'il professe par ses paroles et son habit. L'étendard du Christ, c'est l'humilité, celui de l'Antéchrist, c'est l'orgueil.
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