mercredi 12 mai 2021

Un désir renouvelé, Saint Bernard de Clairvaux

 


Reviens, Verbe de Dieu


Reviens, Verbe de Dieu
qui nous visites comme en passant.
Inconsolable en ton absence,
notre cœur te réclame.
Par ton départ tu l'éprouves
et tu avives son désir
de connaître à nouveau la rencontre.



 

Reviens à nous, Seigneur, toi, notre Bien-Aimé.


Ta venue nous échappe toujours,
chaque fois ton départ nous surprend,
mais le goût reste en nous de ton passage.


D'où venais-tu ? où allais-tu ? nous l'ignorons,
mais la mémoire demeure en nous
d'un grand bonheur furtif et redoutable.


Très au-delà du sens et du savoir,
en grand secret, tu nous visites :
pour un instant nous touchons l'infini.


Nous n'avons pu te voir ni te saisir.
Par où es-tu passe ? nous ne savons,
mais notre cœur reste blessé d'amour.

 

CFC (f. Pierre-Yves)
NJ 1973
LMH PTP LJ 56

Saint Grégoire Le Grand, Les voies de l'esprit sont mystérieuses

 Pentecôte Mt 28,16-20




Saint Grégoire le grand (540-604)

64 ème  pape,docteur et Père de l'Église d'occident.




On ne sait comment viennent ses dons, ni d’où, ni quand.

L’Esprit souffle où il veut ; et toi, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, et tu ne sais ni où il va, Jn 3,8.

Même celui qui a été illuminé par l’Esprit ne peut découvrir comment sa voix s’est introduite jusqu’à l’oreille de son coeur. Il est incapable de décrire les voies par lesquelles sa force invisible a pénétré en lui, comment il vient et comment il se retire. Personne ne peut connaître d’avance les résultats d’une prédication ; personne ne peut prévoir dans quels coeurs entrera l’Esprit. Dieu sème dans les âmes d’une manière incompréhensible. On ne voit pas l’action de Dieu dans les coeurs, on ne voit pas comment il y entre, on ne connaît pas les voies qu’il prend pour les illuminer et cependant il les change. Nous voyons le résultat, nous ignorons le comment. - Quelle voie prend la lumière pour se répandre ? demande Dieu à Job, Jb 38,24.

Cette voie est invisible à nos yeux, répond Grégoire. La sagesse, comme l’Esprit, se répand secrètement dans les coeurs. La parole de l’Esprit se fait entendre sans bruit à l’oreille du coeur. C’est une parole à l’intérieur, c’est une voix qui ne fait pas de bruit mais qui donne la science au-dedans et instruit les coeurs, c’est une brise légère. Transmise sans bruit au coeur du croyant, la parole de l’Esprit est incommunicable. On peut percevoir son inspiration, non l’exprimer par des mots. N’est-ce pas le propre de l’expérience de ne pouvoir se transmettre ? On ne peut savoir ce qu’est une parole de l’Esprit-Saint si on ne l’a pas reçue.

La venue de l’Esprit est toujours inopinée. Aussi l’Écriture dit-elle que l’Esprit tombe sur ceux qu’il visite. Tomber, dit Grégoire, c’est être entraîné soudainement vers le bas. L’action de l’Esprit est rapide comme celle de l’éclair ; l’Esprit est présent à tous et a chacun au même moment. L’Esprit de Dieu n’a pas besoin des détours du langage humain pour se faire comprendre ; les mots qu’il emploie sont comme des paroles ; en fait une force intérieure intime à l’homme ce qu’il doit faire. C’est l’Esprit qui dit au coeur de Philippe : - Rejoins ce char, Ac 8,29 ; c’est lui qui fait entendre à l’esprit de Pierre : - Voici trois hommes qui te cherchent. Debout, descends et pars avec eux, Ac 10,19-20. En un instant les coeurs sont mis au courant de ce qu’ils ignoraient. La parole de Dieu est lumière subite dans les ténèbres de l’ignorance. Quand il veut instruire quelqu’un, l’Esprit ne souffre aucun retard. Il lui suffit de toucher l’esprit de l’homme, et son simple toucher enseigne tout. Le coeur est changé aussitôt qu’illuminé ; instantanément il n’est plus ce qu’il était et il devient ce qu’il n’était pas.

L’Esprit Saint vient dans tous les fidèles ; sur le Christ seul il est demeuré d’une manière permanente et unique, Jn 1,33 ; chez les fidèles, il n’est pour ainsi dire que de passage ; on ne peut jouir à volonté et de manière continue des dons de l’Esprit. L’Esprit n’est qu’en visite dans les âmes. Cependant il faut ajouter que chez certains, parce que leur vie est pure, l’Esprit réside en permanence. Autre chose bien sûr est l’habitation de l’Esprit dans tous les baptisés : c’est lui qui donne la vie aux âmes et il est présent partout. L’Esprit se rend présent puis se retire, il est mobile, Sg 7,22. Il se porte même à la rencontre de ceux qui ne le connaissent pas.

Insaisissable, l’Esprit laisse cependant des traces de son passage, il laisse dans le coeur la trace de l’expérience de l’invisible. L’Esprit a été envoyé dans nos coeurs par le Fils unique du Père pout nous donner la vie, pour nous donner la possibilité de croire à ce que nous ne connaissons pas encore par expérience. Celui qui n’a pas encore atteint une foi aussi assurée doit faire confiance provisoirement à ceux qui par l’Esprit Saint en font l’expérience.

D’une part, l’Esprit nous est donné comme témoin pour secourir notre foi parce que nous ne pouvons pas encore connaître d’expérience l’invisible. Maintenant, nous avons le gage de l’Esprit ; alors, dans la patrie, nous parviendrons aux joies d’en haut. On nous donne un gage pour nous donner l’assurance qu’une promesse sera tenue. Le don de l’Esprit est appelé un gage, 2 Cor 1,22 et 5,5, parce qu’il renforce la certitude de notre espérance.

D’autre part, il y a des chrétiens qui ont déjà par l’Esprit-saint l’expérience de l’invisible ils ont reçu de l’invisible une connaissance aussi assurée que l’est celle donnée par la vue dans les choses de ce monde.

Les chrétiens ordinaires ont reçu par l’Esprit Saint la certitude de l’invisible mais ils ne le connaissent pas encore d’expérience ; ils ont déjà la certitude de son existence puisqu’ils en ont touché le gage, mais ils n’ont pas la certitude de la réalité elle-même. Il y a l’expérience du chrétien ordinaire puis celle du mystique. Pour l’un, l’invisible est objet de foi, pour l’autre, l’invisible est objet d’expérience, quasi de constat.

L’homme n’est pas à la mesure de l’Esprit. Il y a disproportion entre ce que l’Esprit donne à entendre et la capacité de l’homme. Ce que l’Esprit fait voir en un instant au coeur du prophète, celui-ci ne peut l’exprimer d’un seul mot. La puissance de l’Esprit dépasse aussi la capacité des coeurs spirituels : l’Esprit Saint est ce vin nouveau qui fait éclater les outres, fussent-elles neuves. Tant qu’il demeure en cette vie et malgré tous ses efforts, l’homme ne peut voir la gloire de Dieu. L’Esprit ne donne de lui-même aux hommes qu’une connaissance limitée parce que leur faiblesse ne leur permet pas de le recevoir tel qu’il est. Il se fait brise légère, mais c’est encore trop pour eux ; cette brise leur fait l’effet d’un vent violent. L’Esprit nous touche légèrement mais ce toucher nous fait chanceler, sa lumière nous perturbe. L’homme n’est pas à la mesure des choses de Dieu.

Cependant, l’Esprit Saint sait s’adapter à la faiblesse de l’homme. Sa présence se manifeste comme un toucher. L’Esprit Saint est le doigt de Dieu, Mt 12,28 et Luc 11,20. Quand la grâce de l’Esprit Saint se répand en nous elle nous remplit de douceur, Job 20,17. L’Esprit du Christ en effet remplit de joie celui à qui il fait goûter la douceur de sa divinité. L’Esprit Saint mérite bien son nom de Paraclet ou consolateur.

Patrick CATRY, OSB, Moine de Wisques, Parole de Dieu, Amour et Esprit-Saint chez Saint Grégoire le Grand, Vie monastique N° 17, 181-185.

 

Le progrès spirituel chez Grégoire de Nysse, 4ème siècle

 
Le progrès spirituel chez Grégoire de Nysse  (4èmesiècle)

Peinture par Danièle Vuillemin-coq                                                               Ascension Mc 16,15-20


La grâce de l’Esprit et l’œuvre bonne, concourant à la même fin, comblent de cette vie bienheureuse l’âme dans laquelle elles se réunissent. Séparées au contraire, elles ne procureraient à l’âme aucun profit. Car la grâce de Dieu est de telle nature qu’elle ne peut visiter les âmes qui refusent le salut ; et le pouvoir de la vertu humaine ne suffit pas à lui seul pour élever jusqu’à la forme de la vie [céleste] les âmes qui ne participent pas à la grâce. "Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la ville, c’est en vain que veillent les gardes", Ps 126, 1.






Il faut à la fois mettre tout son entrain, toute sa charité, toute son espérance, dans les labeurs de la prière, du jeûne et des autres exercices, et rester cependant persuadé que les fleurs et les fruits de ce travail sont l’œuvre de l’Esprit. Si quelqu’un en effet, met le succès à son compte et attribue tout à ses efforts, la jactance et l’orgueil pousseront chez lui, au lieu des bons fruits. […] Que doit donc faire celui qui vit pour Dieu et pour son espérance ? Soutenir allègrement les combats de la vertu, mais fonder sur Dieu seul la liberté de l’âme […] et son ascension vers la cime des vertus.
La vie parfaite est celle dont aucune borne ne limite le progrès dans la perfection et que la croissance continuelle de la vie vers le meilleur est la voie pour l’âme vers la perfection.
Nulle limite ne saurait interrompre le progrès de la montée vers Dieu, puisque d’un côté le Beau n’a pas de borne et que de l’autre la croissance du désir tendu vers Lui ne saurait être arrêtée par aucune satiété.

vendredi 7 mai 2021

Joseph L'Hésyschaste, Aimez, comme je vous aimés

 Saint Jean 15,9-17

Sollicité par ton ardente foi et piété, j’ai jugé bon, mon enfant, de t’écrire quelques mots sur l’amour, de ce que j’ai appris des bienheureux Pères qui m'ont précède et de la lecture des Ecritures. Mais étant donné le caractère sublime de ce charisme surnaturel, je suis saisi par la crainte de ne pouvoir terminer ce discours. Mais, d'autre part, réchauffé par l'espoir de tes saintes prières, j'en viens au sujet. Car comment pourrais-je, mon enfant, m'appuyer sur mes seules forces en parlant de ce grand charisme qui transcende mes forces ? Avec quels mots décrirais-je ce délice et cette nourriture supra-céleste des saints anges, des prophètes, des apôtres, des justes, des martyrs, des saints moines, et de toute  la liste de ceux qui sont inscrits dans les deux ?



Je dis la vérité, mon fils : même si j'étais assisté de toutes les langues des hommes issus d'Adam, même alors il me semble qu'il serait impossible d'être digne de célébrer l'amour comme il
convient.
Que pourrais-je dire qui en soit digne ? Aucune langue mortelle ne peut dire un tant soit peu quelque chose de l'amour, si Dieu, qui est la vérité même et l'amour, ne nous dispense d’énergie
de la parole, de la sagesse et de la connaissance. Car l'amour n'est rien d'autre que le Père et le Sauveur lui-même, notre doux Jésus, avec le divin Esprit.

 

De nos jours, bien des personnes bonnes et vertueuses, qui mènent une vie effectivement droite et agréable à Dieu par leurs actions et leurs paroles, s'imaginent qu'elles ont atteint l'amour divin, grâce à l’oeuvre insignifiante de miséricorde et de compassion dont elles font preuve a l'égard de leur prochain. Mais ce n'est pas la vérité, car elles ne font qu'accomplir le commandement du Seigneur, lui qui a dit : « Aimez-vous les uns les autres. Celui qui garde ce précepte est certes digne de louanges, comme quelqu'un qui garde les divins préceptes, mais ce n'est certes pas la l'opération de l'amour divin. C'est une voie qui mime a la source, mais ce n'est pas la source. Ce sont des marches de I'escalier qui monte vers le palais, mais ce n'est pas même l'entrée du palais. C'est un vêtement royal, mais ce n'est pas le roi. C'est un commandement de Dieu, mais ce n'est pas Dieu.

C'est pourquoi, mon enfant bien-aimé, tu peux tenir cela pour certain : accomplir le commandement de l'amour par des oeuvres accomplies par amour fraternel, c'est une chose, mais l'opération de l'amour divin en est une autre. Tous les hommes peuvent, s'ils le veulent et en se forçant d’accomplir le précepte d'amour fraternel. Mais ce n'est pas le cas pour l'amour divin. L'amour divin, lui, ne résulte pas de nos ceuvres et ne dépend pas de notre vouloir ; il ne petit pas non plus se manifester si nous le voulons, quand nous voulons et comme nous voulons. Il dépend de la source de l'amour, qu'est notre très doux Jésus, qui nous le donne s’il le veut, comme il le veut et quand il le veut. 

In Letrres spirituelles, tage d'homme, Lausanne 2005, p. 265 s.