samedi 10 septembre 2022

Pasteur Serrano, prédication homme riche et Lazare, Luc 16,19-31

 

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Un jour, dans une école talmudique, un élève demande à son rabbin :


«Pourquoi un pauvre est amical et prêt à aider, tandis qu’un riche ne nous remarque même pas ?» 

Le rabbin lui demande alors de regarder par la fenêtre ; il y voit une femme avec son enfant qui va au marché. Ensuite, il lui dit de se tourner vers un miroir, et lui demande ce qu’il voit. L’élève répond: «Moi-même!» Et le rabbin continue, en lui disant :
«La fenêtre est faite en verre, le miroir aussi, mais au fond de ce dernier il y a une couche d’argent, et vois-tu, dès qu’on met un peu d’argent derrière le verre, on ne voit plus que soi-même.»

C’est aussi ce que nous dit cette parabole de « L’homme riche et du pauvre Lazare », que je viens de vous lire. En effet, nous y découvrons un homme riche qui ne pense qu’à lui-même, sans s’occuper ou se préoccuper d’autre chose. Je crois que vous aurez tous à manger à midi et un toit pour vous loger ce soir. Je vois que vous avez tous des habits encore assez beaux, pas usés jusqu’à être transparents, je veux dire par là que je pense que vous ne portez pas ces mêmes habits sans interruption depuis des jours, voire des mois. Autrement dit, quelque part, vous êtes tous riches, notamment si on vous compare à une grande partie de la population du monde. Cette parabole de l’homme riche nous concerne donc tous directement, moi y compris !

Mais le texte que j’ai choisi ce matin nous ouvre aussi un voile sur l’Au-delà, le monde après la mort. La Bible ne décrit pas en détail comment sera le Ciel, je crois d’ailleurs qu’il n’y aurait pas de mots pour le faire, mais elle nous donne des indications. Et cette parabole nous en donne quelques-unes. La première chose à noter, c’est qu’elle ne parle pas de la situation ultime dans le Ciel ou l’Enfer, car ici, il est d’abord question du séjour des morts, « le sein d’Abraham ». Nous sommes donc avant la Résurrection des morts et le Jugement dernier ; car, après, il n’y aura plus de communication possible entre le Ciel et l’Enfer. Par contre, dans cette parabole, s’il n’y a pas de pont entre ces deux endroits, les gens peuvent se parler, ainsi l’homme riche et Abraham se parlent. Cependant, il serait hasardeux, à partir de cette parabole ou de tout autre texte, de tirer un enseignement doctrinal sur ces questions s’il n’est pas corroboré par d’autres textes bibliques. Autrement dit, si Jésus ou les apôtres ne disent pas la même vérité ailleurs, on ne peut tirer un enseignement à partir d’une parabole. Ce texte n’est donc pas un enseignement sur le Ciel ou l’Enfer ou l’Au-delà. Ce qu’il nous montre surtout, c’est qu’après la mort il y a une séparation : l’homme riche et Lazare ne vont pas dans les mêmes lieux. Jésus ne veut pas pour autant nous faire peur, mais plutôt nous inviter à ne pas passer à côté de la vie, à ne pas manquer l’Essentiel. Face au mystère de la mort, Jésus ne parle pas d’abord de Jugement ou de peines éternelles, mais d’Espérance et de Vie éternelle. Et cette parabole, si elle peut paraître et même être un avertissement, veut surtout nous inviter à saisir cette Espérance et la faire croître tout au long de notre existence.

Alors, que veut dire cette parabole ? Qu’une grande partie des riches iront en Enfer et la majorité des pauvres au Ciel ? Ce n’est pas si simple que ça ! En tout cas ce passage de l’Evangile de Luc ne dit pas cela. Luther, pour sa part, disait qu’un pauvre ne va pas au Ciel parce qu’il est pauvre, et un riche en Enfer parce qu’il est riche. Abraham par exemple, que l’on trouve dans cette parabole, était assez riche, même très riche, et il se retrouve du bon côté. Alors qu’est-ce qui différencie ces deux personnages, si ce n’est pas la richesse ou la pauvreté ?
Un élément essentiel les différencie dans la parabole, et ce n’est pas un hasard : Lazare a un nom et l’homme riche pas. En effet, son nom n’est pas indiqué : ce qui est indiqué, ce sont des éléments de sa richesse, comme ses vêtements de pourpre et de fin lin, et la vie qu’il pouvait se payer, joyeuse et brillante. C’est comme s’il n’existait que par ses richesses, par son avoir sans Etre vraiment. Comme si sa richesse lui avait fait perdre son nom, son identité, son âme – et nous en connaissons beaucoup à qui c’est arrivé ou arrive encore -. Comme si ses biens avaient supplanté sa personne, comme s’il ne se définissait plus qu’à partir de son avoir. Il avait beaucoup de richesses, mais il n’avait que cela, et en avait perdu son nom ! Et pourtant, comme Lazare, comme vous et moi, c’était une personne créée à l’image de Dieu, appelée à avoir une relation avec Dieu.

Mais dans le texte, aucune indication ne mentionne une quelconque relation de l’homme riche avec Dieu. L’homme riche ne se préoccupe ici ni de Dieu ni de son prochain, donc de Lazare. Et Lazare, me direz-vous, on ne parle pas non plus de sa relation à Dieu. Apparemment, c’est vrai, mais j’ai dit que Lazare a un nom, vous le connaissez : c’est justement Lazare. Et savez-vous ce que ce nom signifie en hébreu ? Comme Eléazar , son nom signifie « Dieu a secouru » ou « Dieu a aidé ». Voilà le lien, la relation entre le pauvre Lazare et Dieu, il nous est donné par son nom. Lazare a un nom, ce n’est pas un numéro, un pauvre quelconque : certes il est pauvre mais il a un nom, une identité, une personnalité.
Et la Bible dit que Dieu nous appelle par notre nom, ce que nous répétons lors de chaque baptême; car il nous connaît personnellement, avant même que nous existions, il nous connaissait. Et Dieu a des projets d’amour et de bienveillance envers chaque être humain, riche ou pauvre, blanc ou noir, petit ou grand ou tout ce que vous voulez. Dieu a connu et aimé Lazare. Il a aussi connu et aimé l’homme riche, comme il a connu et aimé Judas, Pierre, Paul, comme il aime chacun de nous. Mais la différence, c’est que Lazare a été secouru par Dieu, c’est ce que signifie son nom, il a reçu quelque chose de Dieu, le secours ; car lui savait qu’il avait besoin du secours de Dieu.
Il n’avait presque rien, Lazare, il était pauvre, il était content de ramasser quelques miettes au milieu des chiens. Il était conscient de son état, qu’il avait besoin du secours de Dieu, pas seulement pour le nourrir, mais pour recevoir l’espérance de la vie éternelle, le pardon de Dieu.

C’est là le cœur de cette parabole, qui se situe au milieu de textes parlant de la fidélité et du pardon: la fidélité de Dieu, qui prend soin de Lazare, le conduit après la mort au sein d’Abraham, parce qu’ il a reçu le pardon de Dieu, la Grâce.
Mais l’homme riche a aussi reçu quelque chose, il l’a même reçu de Dieu, ou plutôt Dieu a permis qu’il reçoive quelque chose, ce sont des biens : Abraham le lui a dit, tu as reçu tes biens pendant ta vie. L’homme riche a reçu des biens, mais seulement des biens, il n’a pas reçu le pardon de Dieu, parce qu’il ne l’a pas demandé, pas cherché, n’ayant pas de relation avec Dieu. Il pensait qu’il avait tout ce qu’il fallait avec ses richesses, et il n’a pas pensé que l’homme ne vit pas de pain seulement ou de richesses, mais de toute parole qui sorte de la bouche de Dieu. Sur la terre, l’homme riche ne pensait qu’à lui, à sa vie, et il jouissait de cette vie. Ce n’est pas interdit de jouir de la vie, Jésus a fait le premier miracle à Cana en changeant l’eau en vin. Simplement, il ne suffit pas de jouir de la vie ici- bas, Jésus nous invite à jouir de la vie aussi après la mort, à participer au « festin des noces de l’Agneau ». L’homme riche ne se savait pas pauvre devant Dieu. Il n’a compté que sur ses richesses, qui n’ont pas pu le sauver. Il n’a pensé qu’à lui, a oublié Lazare et Dieu. Maintenant, dans le séjour des morts, il ne pense plus seulement à lui, il pense enfin aux autres , à ses frères. Il aimerait pouvoir leur envoyer Lazare, en espérant qu’ils comprendraient ce qui est Essentiel dans la vie, et se repentiraient. Car désormais, notre homme riche est conscient de ses péchés et de ceux de ses frères, et parle enfin de repentance. Et que répond Abraham ? Que s’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne risquent pas de se laisser persuader, même si quelqu’un revenait de la mort pour leur parler. Dieu avait envoyé Lazare vers l’homme riche pour lui ouvrir les yeux, il était couché à sa porte, mais il n’avait pas su discerner dans sa présence un appel de Dieu à réfléchir et à se repentir, et maintenant il veut l’envoyer vers ses frères !

Jésus, nous répètent inlassablement les Evangiles, est venu accomplir la Loi et les Prophètes. Par là, Jésus veut nous inviter à ouvrir la Parole de Dieu et surtout nous ouvrir à elle, car Tout y est déjà écrit ; même si Lui, nous donne une nouvelle clé de lecture au travers de sa vie et de sa mort. Cette Clé est que « nous sommes sauvés par Grâce, par le moyen de la Foi », Eph 2, 8 ; et la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la Parole du Christ.
Cette parabole est en fait la parabole « du pauvre homme riche et du riche pauvre Lazare ». Elle nous invite à axer nos vies sur la Parole de Dieu seule, si nous voulons recevoir la Vie éternelle.
La Loi nous rappelle d’ailleurs que c’est un péché que d’aimer quelque chose ou quelqu’un plus que Dieu, et Jésus a repris cela, lorsqu’il a dit :


« Si quelqu’un vient à moi, sans me préférer à son père, à sa mère, à sa femme, à ses enfants, à ses frères, et à ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Et quiconque ne porte pas sa croix, et ne me suit pas, ne peut être mon disciple ». Mais il a surtout dit, et cela vaut pour tous les hommes riches, jeunes ou vieux, mais aussi pour tous les pauvres et pour nous tous ici :


« Je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance » . Dieu désire ainsi notre Bonheur : que nous soyons riche ou pauvre, il nous offre sa Paix et la Vie éternelle.

Amen.

Source : http://www.erf-villefranche.fr/cultes/Predic-03-05-09.pdf, in https://www.histoiredunefoi.fr.

Saint Gaudence de Brescia, Nous ne sommes pas propriétaire des biens d'ici-bas

 


25e dimanche du temps ordinaire C

18 septembre 2022



Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (
Lc 16,1-13)

Jésus disait à ses disciples: "Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu'il gaspillait ses biens."








Le Seigneur Jésus est le maître véritable qui enseigne à ses disciples les préceptes nécessaires au salut. Il a raconté à ses Apôtres d'alors la parabole de l'intendant pour les exhorter, ainsi que tous les croyants d'aujourd'hui, à se montrer fidèles à faire l'aumône. En faisant le portrait de ce personnage, il a voulu nous apprendre que rien ne nous appartient ici-bas, mais que notre Seigneur nous a remis l'administration de ses richesses pour en faire un usage convenable, en rendant grâce, ou pour les distribuer à nos compagnons de service selon les besoins de chacun. Il ne nous est pas permis de gaspiller au hasard les richesses qui nous ont été confiées, ni de les employer à des dépenses superflues, car nous devrons rendre compte de leur usage au Seigneur, lors de sa venue.

A la fin, le Seigneur a ajouté cette conclusion à la parabole : Eh bien, moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec l'argent trompeur afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles,
Lc 16,9.  Ces amis, qui obtiendront notre salut, sont évidemment les pauvres, car, selon la parole du Christ, c'est lui-même, l'auteur de la récompense éternelle, qui recueillera en eux les services que notre charité leur aura procurés. Dès lors, les pauvres nous feront bon accueil, non point en leur propre nom, mais au nom de celui qui, en eux, goûte le fruit rafraîchissant de notre obéissance et de notre foi.

Ceux qui accomplissent ce service de l'amour seront reçus dans les demeures éternelles du Royaume des cieux, puisqu'aussi bien le Christ dira : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis le commencement du monde. Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire,
Mt 25,34.

Il a dit également : Si vous n'avez pas été fidèles avec l'argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable,
Lc 16,11 ? Si quelqu'un, en effet, ne se montre pas fidèle dans l'administration des richesses terrestres, qui procurent les moyens de commettre beaucoup d'actions malhonnêtes, qui pensera à lui confier les vraies richesses célestes, dont jouissent avec raison et équitablement ceux qui se sont montrés justes, et fidèles à faire des dons aux pauvres ?

Aussitôt après avoir dit cela, le Seigneur ajoute, finalement : Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, le vôtre, qui vous le donnera,
Lc 16,12 ? En effet, rien de ce qui est dans ce monde ne nous appartient vraiment. Car nous qui attendons la récompense future, nous sommes invités à nous conduire ici-bas comme des hôtes et des pèlerins, de façon que nous puissions tous dire au Seigneur avec assurance: Je suis un étranger, un passant comme tous mes pères, Ps 38,13.

Mais les biens éternels appartiennent en propre aux croyants. Ils se trouvent au ciel, là où, nous le savons, sont notre coeur et notre trésor,
Mt 6,21, et où - c'est notre intime conviction - nous habitons dès maintenant par la foi. Car, selon l'enseignement de saint Paul : Nous sommes citoyens des cieux, Ph 3,20.

Homélie de saint Gaudence de Brescia (+ 410), Sermon 18; PL 20, 973-975, in clerus.org.

samedi 3 septembre 2022

Saint Pierre Chrysologue, + 450, Le Christ est venu chercher ce qui était perdu



Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 15,1-32)

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les publicains récriminaient contre lui: "Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux! " Alors Jésus leur dit cette parabole: "Si l'un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve?"


Le fait de retrouver un objet que nous avions perdu nous remplit chaque fois d'une joie nouvelle. Et cette joie est plus grande que celle que nous éprouvions, avant de le perdre, quand cet objet était bien gardé. Mais la parabole de la brebis perdue parle davantage de la tendresse de Dieu que de la façon dont les hommes se comportent habituellement. Et elle exprime une vérité profonde. Délaisser ce qui a de l'importance pour l'amour de ce qu'il y a de plus humble, est propre à la puissance divine, non à la convoitise humaine. Car Dieu fait même exister ce qui n'est pas; il part à la recherche de ce qui est perdu tout en gardant ce qu'il a laissé sur place, et il retrouve ce qui était égaré sans perdre ce qu'il tient sous sa garde.

Voilà pourquoi ce berger n'est pas de la terre mais du ciel. La parabole n'est nullement la représentation d'oeuvres humaines, mais elle cache des mystères divins, comme les nombres qu'elle mentionne le démontrent d'emblée: Si l'un de vous, dit le Seigneur, a cent brebis et en perd une... (Lc 15,3) <>


Vous le voyez, la perte d'une seule brebis a douloureusement éprouvé ce berger, comme si le troupeau tout entier, privé de sa protection, s'était engagé dans une mauvaise voie. Aussi, laissant là les quatre-vingt-dix-neuf autres, il part à la recherche d'une seule, il ne s'occupe que d'une seule, afin de les retrouver et de les sauver toutes en elle.





Mais il est temps d'expliquer le sens caché de cette parabole céleste. Cet homme qui possède cent brebis, le Christ, est le bon pasteur, le pasteur miséricordieux qui a établi tout le troupeau de la race humaine en une seule brebis, c'est-à-dire en Adam. Il avait placé la brebis dans le paradis enchanteur et dans la région des pâturages de vie. Mais elle, se fiant aux hurlements des loups, a oublié la voix du berger, elle a perdu le chemin qui conduit au bercail du salut et s'est trouvée toute couverte de blessures mortelles. Le Christ est venu dans le monde chercher la brebis et l'a retrouvée dan s le sein de la Vierge. Il est venu, il est né dans la chair, il a placé la brebis sur la croix, et l'a prise sur les épaules de sa passion. Puis, tout rempli de la joie de la résurrection, il l'a élevée, par son ascension, jusqu'à la demeure du ciel.

Il réunit ses amis et ses voisins, c'est-à-dire les anges, et il leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue (Lc 15,6)! Les anges jubilent et exultent avec le Christ pour le retour de la brebis du Seigneur. Ils ne s'irritent pas de la voir siéger devant eux sur le trône de majesté. Car l'envie n'existe plus au ciel dont elle a été bannie avec le diable. Grâce à

l'Agneau qui a enlevé le péché du monde, le péché d'envie ne peut plus pénétrer dans les cieux.

Frères, le Christ est venu nous chercher sur la terre; cherchons-le dans les cieux. Il nous a emportés dans la gloire de sa divinité; nous, portons-le dans notre corps par la sainteté de toute notre vie. Rendez gloire à Dieu, dit l'Apôtre, et portez-le dans votre corps (1Co 6,20 latin). Celui qui vit dans la chair sans lui faire accomplir aucune oeuvre de péché, celui-là porte Dieu dans son corps.

Sermon 168, 4-6; CCL 24 B, 1032-1034, in Clerus.org, himéliaires

Guillaume de Saint Thierry, Tu m'as enjôlé Seigneur

23ème dimanche du temps ordinaire 5 septembre 2022


 (v. 1085-1148)
Moine cistercien et auteur mystique

Tu m'as enjôlé Seigneur et je me suis laissé prendre.
Tu as été le plus fort, tu l'as emporté !
J'ai distingué ta voix qui disait : "Venez à moi, vous tous qui peinez et êtes chargés, et je vous soulagerai!"

Je suis venu à toi ; j'ai cru à ta parole.
En quoi m'as-tu soulagé ?
Je ne peinais pas et maintenant je peine, et si fort que je succombe à la peine.
Je n'étais pas surchargé, et maintenant, je ploie sous le fardeau.





Tu as dit pourtant : "Mon joug est délicieux et mon fardeau léger."
Où donc se trouvent ces délices ?
Où donc est cette légèreté ?
Maintenant je n'en puis plus sous le joug, je tombe sous le fardeau.
J'ai jeté un regard tout à l'entour, mais personne pour me secourir !
J'ai cherché, mais personne pour m'aider !

Qu'est-ce donc, Seigneur ? Pitié ! Car je suis infirme.
Le Seigneur m'a répondu :
je ne t'ai pas enjôlé, mon fils, mais je t'ai doucement guidé jusqu'ici.
Tu murmures parce que je ne te soulage pas, mais si je ne t'avais pas soulagé, déjà tu aurais succombé !
Tu gémis sous mon joug et tu fatigues sous mon fardeau, mais c'est l'amour qui donne à mon joug la suavité, et à mon fardeau la légèreté.
Tu es incapable de porter seul mon fardeau et mon joug, mais si l'amour se joint à toi pour les porter, à ton grand étonnement, tu goûteras tout de suite leur suavité.

Seigneur, c'est bien ce que je t'ai dit :
 j'ai fait ce que j'ai pu ! Ce qui semblait être en mon pouvoir, je l'ai mis à ton service.
Si j'avais pu avoir l'amour, déjà depuis longtemps je serais parfait.
Si tu ne me le donnes pas, je ne puis l'avoir, et si je ne l'ai, je ne puis tenir.
Combien je suis capable de peu de choses, tu le sais, tu le vois !
De cette misère enlève donc ce que tu voudras, mais donne-moi cet amour dans sa plénitude et sa perfection ! Tant que je n'ai pas l'amour, qui m'aidera à porter ma peine ?

Le Seigneur me dit :
- C'est moi qui jusqu'ici ai porté ta peine, et je la porterai encore.
- Seigneur, avec ta grâce je ne lâcherai pas.
Je ne te quitterai pas, et de deux choses l'une.
Ou bien tu m'achemineras au terme du voyage commencé, ou bien je tomberai sur la route derrière toi, si tant est qu'on puisse tomber sur la route derrière toi !

Pitié, Seigneur, regarde ma petitesse, ma pauvreté !
Aide-moi ! Porte le pauvre infirme, le misérable de corps et d'esprit que je suis !
Je t'appartiens, sauve-moi !
Entre tes mains je remets mon esprit !
La fin de la Loi, c'est l'amour, et c'est aussi la fin de ma prière.
Donne-moi l'amour, toi qui es Amour !
Que je t'aime plus que moi-même, et ne m'inquiète en rien de ce que tu pourras faire de moi, pourvu que je fasse ce qui est agréable à tes yeux.

Toi, ma force, aie pitié de ma faiblesse, et que ce soit ta grande gloire que ma faiblesse tienne bon à ton service !