lundi 30 mars 2020

SERMON DE ST JEAN CHRYSOSTOME, Dimanche des Rameaux et de la Passion


« Nous avons achevé la navigation du jeûne et nous voici, par la grâce de Dieu, arrivés au port. Mais ne nous négligeons pas, parce que nous sommes arrivés au port; au contraire redoublons de zèle, parce que nous avons atteint le terme du voyage. Ainsi font les pilotes; au moment de faire entrer dans le port un vaisseau chargé de blé et d'un poids énorme de marchandises, ils sont inquiets, ils prennent mille soins pour empêcher que le navire, après avoir traversé de si vastes mers, ne se brise contre un écueil, et ne sombre avec toutes les marchandises. Voilà les inquiétudes, les craintes que nous devons ressentir, nous aussi; au terme de la traversée gardons-nous de perdre le prix de nos fatigues. Voilà pourquoi nous devons redoubler de zèle. Ainsi font les coureurs encore : quand ils se voient arrivés au moment de recevoir leurs prix, c'est alors qu'ils redoublent de vitesse. Ainsi font les athlètes encore ; après les luttes et des victoires sans nombre, quand ils touchent au moment des couronnes, c'est alors qu'ils se dressent plus vivement, qu'ils font de plus généreux efforts. Faisons donc de même, nous aussi, maintenant. En effet, ce qu'est le port pour les pilotes, le prix pour les coureurs, la couronne pour les athlètes, la semaine où nous sommes est tout cela pour nous. C'est la source de nos biens, et il s’agit maintenant de se disputer les couronnes; et voilà pourquoi la présente semaine s'appelle la Grande Semaine. 

Ce n'est pas que les jours y soient plus longs que dans les autres; d'autres semaines, en effet, ont des jours plus longs. Ce n'est pas que les jours y soient plus nombreux; car, dans toutes les semaines, le nombre des jours est le même; mais c'est que, dans cette semaine, Dieu a fait des choses particulièrement glorieuses, c'est dans cette Grande Semaine que la longue tyrannie du démon a été brisée, que la mort a été éteinte, que celui qui était fort, a été enchaîné; ses vases ont été pillés; le péché enlevé; la malédiction effacée; le paradis s'est ouvert; le ciel est devenu accessible, les hommes se sont mêlés aux anges; le mur qui séparait tout a disparu; le voile a été enlevé; le Dieu de paix a étendu la paix dans le ciel et sur la terre. Aussi l'appelle-t-on la Grande Semaine, et, de même qu'elle est la première des autres semaines, de même le grand jour du sabbat est le premier de ces jours, et ce que la tête est pour le corps, le sabbat l'est pour cette semaine. 

Aussi, dans cette semaine, un grand nombre de personnes montre un zèle plus ardent; les unes ajoutent à l'austérité de leur jeûne ; les autres prolongent leurs veilles sacrées ; d'autres font des aumônes plus abondantes, et le zèle qu'elles montrent pour les bonnes oeuvres, et leur application à la piété, attestent la grandeur du bienfait que Dieu nous a accordé. 
De même qu'au jour où le Seigneur ressuscita Lazare, tous les habitants de Jérusalem coururent au-devant de lui, et leur grand nombre attestait qu'il avait ressuscité un mort (car l'empressement de tous ceux qui accouraient, était une preuve du miracle) ; de même, aujourd'hui, le zèle que fait éclater cette Grande Semaine, est un témoignage, une démonstration des grandes choses qui s'y sont opérées. 

Et en effet, nous ne sortons pas d'une seule cité, nous qui courons aujourd'hui au-devant du Christ. Ce n'est pas la seule Jérusalem, c'est la terre entière qui envoie au-devant de Jésus ses églises, riches de peuples qui ne tiennent pas, qui ne secouent pas dans leurs mains des rameaux de palmier, mais qui portent l'aumône, l'humanité, la vertu, le jeûne, les larmes, les prières, les veilles, toutes les fleurs de la piété, pour les offrir à Notre-Seigneur, au Christ ».

mercredi 25 mars 2020

Kondakion du samedi de Lazare, Jean 11,1-45

Eglise catholique romaine, 5ème dimanche de carême


Ceux qui sont familiarisés avec la liturgie orthodoxe savent le caractère singulier et paradoxal des offices de ce samedi de Lazare. Ce samedi est célébré comme un dimanche, c’est-à-dire qu’on y fait l’office de la Résurrection, alors que normalement le samedi est consacré à la commémoration des défunts. La joie qui résonne dans l’office souligne le thème principal : la victoire prochaine du Christ sur l’Hadès. Dans la Bible, l’Hadès signifie la mort et son pouvoir universel, l’inévitable nuit et la destruction qui engloutit toute vie, empoisonnant de son ombre dévastatrice le monde entier. Mais voici que par la résurrection de Lazare, « la mort commence à trembler » ; c’est le début d’un duel décisif entre la vie et la mort, un duel qui nous donne la clé de tout le mystère liturgique de Pâques. Pour l’Église primitive, le samedi de Lazare était « l’annonce de Pâques » ; en effet, ce samedi proclame et fait déjà apparaître la merveilleuse lumière et la paix du samedi suivant, le grand et saint Samedi – le jour du tombeau vivifiant qui donne la vie. 


Comprenons bien d’abord que Lazare, l’ami de Jésus, personnifie chacun de nous et toute l’humanité, et que Béthanie, la maison de l’homme Lazare, est le symbole de tout l’univers, habitat de l’homme. Tout homme a été créé ami de Dieu, appelé à l’amitié divine dans la connaissance, la communion avec lui, pour partager la même vie. 

« En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1,4).


Et pourtant, cet ami bien-aimé de Dieu, créé par amour, le voilà détruit, annihilé par un pouvoir que Dieu n’a pas créé : la mort. Dieu est affronté en son œuvre même à une puissance qui la détruit et rend nul son dessein. La création n’est que tristesse, lamentation, larmes et finalement, mort. Comment est-ce possible ? Que s’est-il passé ? Ces questions se trouvent latentes dans le récit détaillé que Jean nous fait de la venue de Jésus à la tombe de son ami.       

« Et une fois arrivé à la tombe..., dit l’Évangéliste, il pleura... » (Jn 11,35).


Pourquoi pleure-t-il puisqu’il sait, que dans un instant il ressuscitera Lazare à la vie ? 

Les hymnographes byzantins n’ont pas toujours su comprendre le vrai sens de ces larmes, les attribuant à sa nature humaine, alors que de sa nature divine il tiendrait le pouvoir de ressusciter les morts. Et pourtant l’Église orthodoxe enseigne clairement que toutes les actions du Christ sont « théandriques » c’est-à-dire, à la fois divines et humaines, étant les actions du seul et même Dieu-Homme, le Fils de Dieu incarné. C’est l’Homme-Dieu que nous voyons pleurer, c’est l’Homme-Dieu qui fera sortir Lazare de son tombeau. Il pleure... et ce sont des larmes divines ; il pleure parce qu’il contemple le triomphe de la mort et la destruction de la création sortie des mains de Dieu. « Il sent déjà... », disent les juifs, comme pour empêcher Jésus de s’approcher du corps ; terrible avertissement qui vaut pour tout l’univers, pour toute vie. 

Dieu est vie et donateur de vie ; il a appelé l’homme à cette divine réalité de la vie, et voici « qu’il sent... ». Le monde a été créé pour refléter et proclamer la gloire de Dieu, et voici « qu’il sent... ». Au tombeau de Lazare, Dieu rencontre la mort, cette réalité destructrice-de-vie et spectre-de-désespoir. Il se trouve face à face avec l’ennemi qui lui a ravi la Création, son bien propre, pour en devenir le Prince. Nous qui suivons Jésus qui s’approche de la tombe, nous entrons avec lui, dans « son heure », celle qu’il a annoncée si souvent comme l’apogée et l’accomplissement de toute son œuvre. Dans ce court verset de l’Évangile : « et Jésus pleura... », c’est la Croix qui est annoncée, sa nécessité et sa signification universelle. Nous comprenons maintenant que c’est parce que Jésus a pleuré, parce qu’il aimait son ami Lazare, qu’il a le pouvoir de le rappeler à la vie. La résurrection n’est pas la simple manifestation d’un pouvoir divin, mais bien plutôt la puissance d’un amour, l’amour devenu puissance. Dieu est amour et l’amour est vie, il est créateur de vie... C’est l’amour qui pleure sur la tombe et c’est l’amour aussi qui rend la vie : là est le sens des larmes divines de Jésus. Elles nous montrent l’amour de nouveau à l’œuvre – recréant, rachetant et restaurant la vie humaine devenue la proie des ténèbres. 

« Lazare, sors dehors !... »


Voilà pourquoi ce samedi de Lazare inaugure à la fois la Croix, comme suprême sacrifice de l’amour, et la Résurrection, comme son ultime triomphe : « Le Christ, l’universelle joie, la vérité, la lumière et la vie du monde, son éveil, est apparu sur notre terre dans sa bonté, devenant le signe de la Résurrection, pour accorder à tous la divine rémission. » (Kondakion du samedi de Lazare).       

Alexandre Schmemann, Olivier Clément, Le mystère pascal, Commentaires liturgiques, Spiritualité orientale, N° 16, Abaaye de Bellefontoine, 14-15.

dimanche 22 mars 2020

Scrutez les écritures, St Syméon le Nouveau Théologien





Ne vous trompez pas, ô mes frères : qu’il n’y ait pas de péché qui vous paraisse petit, et que, sous prétexte qu’il ne causse pas un tel dommage à notre âme, nous traiterions par le mépris ; entre un petit péché et un grand, les serviteurs reconnaissants ne font pas la différence  et, n’auraient-ils succombé qu’en regard, ou en pensée, ou en parole, ils sont dans les dispositions de quelqu’un qui a déchu de la charité de Dieu, et je suis convaincu que c’est vrai.

Nous avons donc besoin de beaucoup de zèle, de beaucoup scruter les Ecritures. Car l’avantage qu’elles nous procurent, le Sauveur le montrait en ces termes : Scrutez les Ecritures.
Scrutez et, avec beaucoup d’exactitude et de foi, conservez ce qu’elles disent, et ainsi, sachant exactement par les divines Ecritures la volonté de Dieu, vous pourrez sans broncher discerner le bon du mauvais, au lieu de prêter l’oreille à tout esprit et d’être ballottés par des pensées nocives.

Soyez assurés, mes frères, que rien n’est aussi favorable à  notre salut que de suivre les divines prescriptions du Sauveur. Néanmoins, il nous faut beaucoup de larmes, beaucoup de crainte, beaucoup de patience et de prière insistante pour que nous soit révélée la porté d’un seul mot du Maître, et qu’ainsi nous connaissions le grand mystère caché dans les moindres paroles et que nous exposions nos vies, jusqu’à la mort, pour un seul trait des commandements de Dieu.
St Syméon le Nouveau Théologien, in Magnificat, mars 2020, N° 328, 365-366.

samedi 14 mars 2020

Saint Jean 4,5-52, la Samaritaine

Un puits, celui de Jacob, celui qui apaise la soif, celui du baiser de Jacob à Rachel il y a très longtemps, Gn 29,11, celui aujourd'hui d'une autre rencontre. Une femme, une samaritaine vient puiser à ce puits. Un homme, un juif demande de l'eau à cette femme. Tout les sépare : le sexe, la religion, la géographie, l'histoire. Et pourtant, rencontre ; mystère d'une rencontre lourde de sens et de symbole au détour d'un dialogue aussi profond et insondable que ce puits d'eau entre cette femme et cet homme.

Un puits caché depuis la fondation du monde se décèle pour révéler une eau vive. Comme en puits, une ouverture en surface, un passage en profondeur, un fond et l'eau qui est là ; comme en puits s'opère une rencontre risquée en surface, profonde par son passage de l'écoute et du dialogue jusqu'à atteindre cette eau vive au fond qui jaillit.

Cette prise de risque est à l'initiative de Jésus, un juif qui traverse le pays de Samarie. Le contentieux religieux et historique est séculaire et enraciné au point que ceux du royaume de Juda qui adorent sur le mont Garizim, les samaritains, ne fréquentent pas ceux du royaume d'Israël qui adorent au temple de Jérusalem, les juifs. Depuis la conquête de Samarie par Jean Hyrcan 1er, il y a environ un siècle avant cette rencontre, juifs et samaritains n'existent plus les uns pour les autres sinon comme ennemis héréditaires.

Mais Jésus va bien plus loin encore que de traverser ce pays hostile et l'inouï retentit. Un juif considéré comme un rabbi par ses disciples entre en dialogue non seulement avec un habitant de Samarie mais qui plus est avec une femme. La Samaritaine elle-même en est troublée. Un juif lui parle à elle une femme samaritaine lui fait-elle entendre.

La parole fait jour alors sur cette rencontre risquée et contrastée ou l'un comme l'autre sont en réalité habités d'un vrai désir, d'une vraie soif d'autre chose. Jésus demande de l'eau pour sa soif d'homme fatigué de la chaleur et du chemin, surface. Et la Samaritaine l'interpelle sur l'audace de sa parole de lui demander de l'eau, surface ; et lui de répondre que boire de la sienne étanche toute soif à jamais, passage en profondeur. Il creuse à la surface d'un monde apparent où la Samaritaine désire cette eau pour ne plus avoir à puiser. Nous pénétrons dans un mystère. Mystère de cette femme au nom inconnue qui dit sa soif. Mystère de cet homme Jésus qui a soif lui aussi mais d'abreuver cette samaritaine d'une « source d'eau jaillissant pour la vie éternelle » lui dit-il. Mystère de cette eau que Jésus offre à boire qu'il a pour elle et qu'il veut pour elle. Parce qu'il sait que cette eau c'est lui qui la possède et qu'il veut faire d'elle comme un puits. Il désire déposer en son fond son eau vive et creuse en elle ce désir.

Pour creuser, lui révèle-t-il qu'il la connaît : « Tu as raison de dire que tu n'as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq... » et elle voit alors qu'il est prophète. Et ce prophète lui révèle plus encore que l'heure vient d'adorer le Père en esprit et en vérité où il n'y aura plus à aller ni sur cette montagne ni à Jérusalem. Et la samaritaine de savoir surtout qu'il vient le Messie, celui qu'on appelle Christ qui fera connaître toutes choses. Elle sait aussi désormais que cet homme, ce juif, ce prophète lui a fait connaître qu'il connaissait toutes choses d'elle. Du fond de son cœur, jaillit l'eau vive qui lui fait reconnaître le Christ. Désormais, la cruche peut rester à la surface du puits, l'eau déposée en la samaritaine, en son fond est devenue une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle. Elle est un puits vivant et revient à la ville pour dire : « Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »

Frères et sœurs, comme avec la samaritaine, le Seigneur est là, caché au milieu de notre traversée du désert. Il est là, présent à notre vie en quête de fraternité et de communion. Il est là, présent à notre monde en quête de paix et de justice. Il est là, caché à la surface de notre exode quêtant notre désir pour y creuser un passage en profondeur. Comme avec la samaritaine, il nous invite à abandonner les puits aux eaux stagnantes de nos craintes, de nos histoires et de nos peurs. Mais comme avec la samaritaine, ce puits ne se décèle dans notre cœur avec son eau vive qu'à la mesure où nous nous quittons nous-mêmes toujours au détour de l'autre. Quitter nos idées reçues, nos préjugés, nos certitudes sur l'autre, quitter notre quant-à-soi sans cesse. Marcher à la rencontre de l'autre par le dialogue et par l'écoute pour que se décèle peut-être le puits de celui qui vient en esprit et en vérité nous révéler sa présence par l'autre et nous en abreuver par l'autre et faire de nous aussi alors des puits vivants pour les autres. Amen.


fr. Nathanaël
https://www.encalcat.com/3-dimanche-de-careme-

lundi 2 mars 2020

Mère Isabelle, fondatrice des Orantes de l'Assomption


Tout doit prier en nous

L’âme doit se tenir unie à Dieu si elle veut entendre la voix intérieure…
Le Seigneur ne parle pas toujours au moment de l’oraison, mais il le fait toujours dans le silence, lorsque l’âme est attentive, Instructions aux Orantes, 10 juillet 1920.


La prière n’est pas un exercice réglé : la prière est notre vie toute entière… Elle doit aboutir à ce qu’on appelle « le simple regard ». Alors l’âme vit avec Dieu, vit près de lui, et Dieu vit en elle. C’est une prière, un recueillement, ininterrompu …Instructions aux Orantes, 24 juillet  1920.


A l'occasion de l'anniversaire de sa naissance 6.3.1849.