jeudi 31 juillet 2008

Préparez les voies du Seigneur, Guerric d'Igny 1080-1157

L'abbaye cistercienne de Notre-Dame d'Igny, au diocèse de Reims, possède les reliques du Bienheureux Guerric, qui fut le second abbé de ce monastère fondé pour des moines par saint Bernard en 1128.

Qui était-il? Né à Tournai vers 1080 Guerric, avant d'être cistercien, fut assez longtemps "enseignant" à l'école cathédrale de sa ville. Il était devenu écolâtre, selon le vocabulaire de l’époque, dans cette école où lui-même avait été formé. S'il n'était pas "exégète" au sens où nous l'entendons aujourd'hui, il avait une connaissance approfondie de l'Ecriture Sainte. Il menait une vie retirée dans une maison proche de l'église, dont il ne sortait que pour aller retrouver ses élèves. Cependant vers 1125, ayant entendu parler du jeune abbé de Clairvaux, Bernard, il alla lui rendre visite. Et c'est ainsi que, sur le conseil de celui-ci, il entra au noviciat et devint son disciple âgé de plus de quarante ans. Nous ne savons pas grand chose de sa vie à Clairvaux. Par des bribes de lettres de saint Bernard et par quelques récits plus ou moins légendaires provenant de ses contemporains, nous savons qu'il fut un moine exemplaire, d'une grande pureté de vie et d'une grande humilité. Il demeura à Clairvaux jusqu'en 1138, date à laquelle il fut élu abbé d'Igny. Il atteignait alors la soixantaine. Sa mauvaise santé l'empêchait souvent de suivre la vie commune, ce dont il se plaignait auprès de ses frères. Cela n'empêcha pas l’abbaye de prospérer sous son gouvernement et de faire une seconde fondation en 1148, la première ayant eu lieu au temps de son prédécesseur. Surtout Guerric enseignait ses moines. Nous avons encore de lui 54 sermons pour l'année liturgique qui nous permettent de connaître sa riche et profonde spiritualité. Nous en relèverons deux traits dominants. D'abord elle tend à reproduire dans les âmes la vie de Jésus; le Christ en croix est le modèle de notre vie crucifiée et sa résurrection est cause et modèle de la nôtre. Puis nous avons à partager avec Marie sa maternité par rapport au Christ; elle désire former en nous son Fils unique et nous donner ainsi naissance jour après jour.La parole que Guerric adressait à ses moines est encore valable pour nous. Nous pouvons lui demander de nous en instruire et de nous aider à la faire passer dans nos vies. Guerric est mort au milieu de ses frères le 19 août 1157 après dix-neuf ans d'abbatiat. En 1889 la Sacrée Congrégation des Rites a concédé au monastère d'Igny et à tout le diocèse de Reims l'autorisation de célébrer l'office liturgique du Bienheureux Guerric.


"Préparez le chemin du Seigneur. Le chemin du Seigneur, frères, qu'il nous est demandé de préparer se prépare en marchant. On y marche dans la mesure où on le prépare. Même si vous vous êtes beaucoup avancés sur ce chemin, il vous reste toujours à le préparer, afin que, du point où vous êtes parvenus, vous soyez toujours tendus au-delà. Voilà comment, à chaque pas que vous faites, le Seigneur à qui vous préparez les voies vient au-devant de vous, toujours nouveau, toujours plus grand. Aussi est-ce avec raison que le juste prie ainsi : Enseigne-moi le chemin de tes volontés et je le chercherai toujours. On donne à ce chemin le nom de vie éternelle, peut-être parce que bien que la providence ait examiné le chemin de chacun et lui ait fixé un terme jusqu'où il puisse aller, cependant la bonté de celui vers lequel vous vous avancez n'a pas de terme."

Guerric d'Igny : Sermon V pour l'Avent, in Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 36-37.

mercredi 30 juillet 2008

Les trois critères de lecture de la Bible, selon Vatican II

Le Concile Vatican II indique trois critères pour une interprétation de l’Écriture conforme à l’Esprit qui l’a inspirée (cf. Dei Verbum 12, § 3). Le Catéchisme de l'Eglise catholique donne ces trois critères dans ses articles 112 à 114 :

112 1. Porter une grande attention " au contenu et à l’unité de toute l’Écriture ":
En effet, aussi différents que soient les livres qui la composent, l’Écriture est une en raison de l’unité du dessein de Dieu, dont le Christ Jésus est le centre et le cœur, ouvert depuis sa Pâque, (cf. Lc 24, 25-27. 44-46).
Le cœur (cf. Ps 22, 15) du Christ désigne la Sainte Écriture qui fait connaître le cœur du Christ. Ce cœur était fermé avant la Passion car l’Écriture était obscure. Mais l’Écriture a été ouverte après la Passion, car ceux qui désormais en ont l’intelligence considèrent et discernent de quelle manière les prophéties doivent être interprétées (cf. S. Thomas d’A., Psal. 21, 11).

113 2. Lire ensuite l’Écriture dans " la Tradition vivante de toute l’Église ":
Selon un adage des Pères, la Sainte Écriture se lit bien plus dans le cœur de l’Église que dans les moyens matériels de son expression. En effet, l’Église porte dans sa Tradition la mémoire vivante de la Parole de Dieu, et c’est l’Esprit Saint qui lui donne l’interprétation spirituelle de l’Écriture (" ... selon le sens spirituel dont l’Esprit gratifie l’Église " : Origène, hom. in Lev. 5, 5).

114 3. Être attentif " à l’analogie de la foi " (cf. Rm 12, 6) :
Par " analogie de la foi " nous entendons la cohésion des vérités de la foi entre elles et dans le projet total de la Révélation.

dimanche 27 juillet 2008

Le printemps de l'âme, Isaac le Syrien

Le froid de l’hiver cesse soudain et aussi inopinément qu’il a débuté ; à sa suite, c’est le printemps de l’âme qui éclôt :

Dieu permet que froidure et lourdeur surviennent à quelqu’un pour l'exercer et le mettre à l'épreuve, mais si celui-ci s'excite avec zèle et se force un peu pour rejeter ces sentiments, la grâce viendra sans tarder auprès de lui, telle qu'elle y était jadis, et une force différente viendra sur lui, qui porte cachée en elle tous les biens et des secours de toutes sortes. Il s'émerveillera d'une grande stupeur, en se rappelant la lourdeur d’avant et la légèreté et la force qui en ont maintenant triomphé. Il verra la différence avec son état présent, et comment un changement aussi important a pu se produire en lui aussi inopinément. Dès lors, il sera devenu sage, et si une telle lourdeur devait à nouveau s'emparer de lui, il la reconnaîtra à partir de l'expérience précédente.

Isaac décrit ensuite l'illumination spirituelle et l'exultation qui fait suite à cette période de ténèbres, à l'aide d'un vocabulaire haut en couleurs :

Il y a des moments où l'on est assis dans la quiétude... sans savoir par où entrer ou par où sortir. Mais après avoir longuement fréquenté l'Écriture, après avoir continuellement supplié et rendu grâces pour son état de faiblesse, et avoir fixé sans cesse son regard sur la grâce de Dieu, il arrive, qu'à partir de cette grande détresse vécue dans la quiétude, le coeur peu à peu s'élargit, que quelque chose se met à y germer qui fait naître une joie qui vient de l'intérieur, même si cette joie ne vient pas de la personne en question par un début d'activité de sa pensée. Elle se rend compte de ce que son coeur est dans la joie, mais elle ne sait pas pourquoi. Car une certaine exultation occupe maintenant son âme, dont l'allégresse donne de mépriser tout ce qui existe et tout le visible. À travers la force de cette allégresse, l'esprit voit où se trouve le fondement du ravissement de sa pensée, mais il ne saisit pas pourquoi cela lui arrive. Cette personne voit que son esprit est élevé au-dessus de tout contact avec les choses, et que, dans cette exaltation, il se trouve au-delà du monde..., mais elle ne discerne aucune extension de l'intellect lorsque son coeur danse de la sorte, ou que l’esprit est attiré hors de lui-même et qu’il ainsi provoqué.

Hilarion Alfeyev, L’univers spirituel d’Isaac Le Syrien, Spiritualité orientale, N° 76, Abbaye de Bellefontaine, 129.

mardi 15 juillet 2008

La lectio, expérience de dialogue avec Dieu, Isaac le Syrien, 7ème siècle

Isaac parle souvent de la lecture ou lectio et il nous en donne des descriptions. Ce terme vise d’abord la lecture de l’Ecriture, mais non pas exclusivement. Pour Isaac, comme pour toute la tradition monastique ancienne, cette lecture ne consiste pas tellement dans une étude du texte biblique dans un but intellectuel, mais plutôt dans un dialogue avec elle, une rencontre, une révélation reçue d’elle : le texte de la Bible est un moyen de faire l’expérience directe de dialogue avec Dieu, de le rencontrer mystiquement, de recueillir des intuitions sur la réalité profonde.
Isaac parle de la lecture de l’Ecriture comme du moyen le plus important de la transformation spirituelle.
Isaac donne quelques conseils sur la façon de lire l’Ecriture. La première «Persévère dans la lecture, pendant que tu demeures dans la quiétude, afin que ton intellect soit en tout temps attiré vers l’étonnement et la stupeur… » « Que ta lecture se fasse dans une quiétude que rien ne vient troubler ». La deuxième condition est le recueillement de l’esprit et l’absence de pensées venant de l’extérieur : « Sois libre de toute préoccupation concernant le corps et le tracas des affaires, afin que, par la douce compréhension du sens des Ecritures, qui surpasse tout sentiment, tu puisses en goûter la très douce saveur en ton âme… ». La troisième condition est de prier avant de commencer : « N’approche pas des paroles des mystères contenus dans les divines Ecritures, sans prier et sans supplier Dieu de t’aider, mais dis : « Seigneur, accorde-moi de ressentir la force qu’elles contiennent ! Tiens la prière pour la clé d’une vraie compréhension de la divine Ecriture ».
Lorsqu’un moine lit l’Ecriture, essayant de percevoir son contenu caché, sa compréhension s’accroît au fur à mesure de sa lecture, et le conduit par degrés à l’état de stupeur spirituelle.
Aux yeux d’Isaac, ce n’est pas le texte lu qui est tellement important, mais bien plutôt les intuitions spirituelles et mystiques que l’on peut recevoir à travers la lecture.
Lorsque la lecture est un moyen de fréquenter Dieu, elle conduit là où cesse l’activité humaine de l’esprit, quand celui-ci entre directement en contact avec Dieu.

Extrait, Hilarion Alfeyev, l’univers spirituel d’isaac le Syrien, spiritualité orientale, N° 76, abbaye de Bellefontaine. 207.

vendredi 11 juillet 2008

La Parole de Dieu est une semence, Gilbert de Hoyland vers 1110-1172

GILBERT DE HOYLAND (vers 1110-1172)

De nationalité anglaise, Gilbert fut abbé de Swineshead, abbaye bénédictine qui passa à l'Ordre de Cîteaux en 1147. Sa communauté est nombreuse, et Gilbert s'occupe également des moniales du voisinage. Il meurt en 1172 au monastère de Larivoir, près de Troyes (Aube).

Gilbert nous a laissé quelque traités, lettres et sermons, mais son oeuvre principale fut de poursuivre le "Commentaire du Cantique des Cantiques" que Bernard avait laissé inachevé en 1153. Aux 86 sermons de Bernard, il en ajouta 48 autres. Il laisse aussi 7 opuscules sur la prière, un bref sermon et 4 lettres.
Disciple fervent de Bernard, Gilbert en est un continuateur habile ; par son insistance sur l'amour, il reste bien dans le sillage de l'abbé de Clairvaux : il s'émerveille devant l'amour de Dieu qui est toujours premier et qui appelle notre réponse. À nous de nous laisser conformer au Christ progressivement. Pour lui, comme pour Bernard, l'expérience de la vie monastique doit conduire à l'expérience de Dieu ; elle est un moyen privilégié de connaissance immédiate de Dieu.

http://www.citeaux-abbaye.com

La Parole de Dieu est une semence

La parole s’envole
et rien ne peut la rappeler si l’Ecriture ne la fixe pas.
L’Ecriture la rend visible et durable ;
quand vous le voudrez, vous demanderez à la page,
le dépôt qui lui a été confié.

Le livre est un bon dépositaire,
il rend en entier tout ce qu’on lui a donné.
Lorsque cela vous plaira, vous le prendrez,
vous lirez où vous voudrez,
vous vous y arrêterez tout le temps qu’il vous plaira.

L’Ecriture répare la mémoire
et rétablit les souvenirs en représentant la Parole.
Vous lui confiez en toute assurance les remèdes de la Parole,
elle les conserve sans altération.
Si la Parole a la force de guérir lorsqu’elle est prononcée,
pourquoi ne l’aurait-elle point lorsqu’on la lit ?

Gilbert de Hoyland,
Sermon du Cantique des Cantiques, commenté par Saint Bernard, XLII,2.

samedi 5 juillet 2008

Commencer l’été avec les conseils de Lectio divina, Guillaume de Saint Thierry



À des heures déterminées, il faut vaquer à une lecture déterminée. Une lecture de rencontre, sans suite, trouvaille de hasard, bien loin d’édifier l’âme, la jette dans l’inconstance. Accueillie à la légère, elle disparaît de la mémoire plus légèrement encore. Au contraire, il faut s’attarder dans l’intimité de maîtres choisis et l’âme doit se familiariser avec eux. Les Écritures, en particulier, demandent à être lues et pareillement comprises, dans l’esprit qui les a dictées. Tu n’entreras jamais dans la pensée de Paul si, par l’attention suivie à le lire et l’application assidue à le méditer, tu ne t’imprègnes au préalable de son esprit. Jamais tu ne comprendras David, si ta propre expérience ne te revêt des sentiments exprimés par les psaumes. Ainsi des autres auteurs. Au reste, quel que soit le livre, l’étude et la lecture diffèrent autant l’une de l’autre que l’amitié de l’hospitalité, l’affection confraternelle d’un salut occasionnel. Il faut aussi chaque jour détacher quelque bouchée de la lecture quotidienne et la confier à l’estomac de la mémoire : un passage que l’on digère mieux et, qui, rappelé à la bouche, fera l’objet d’une fréquente rumination ; une pensée plus en rapport avec notre genre de vie, capable de soutenir l’attention, d’enchaîner l’âme et de la rendre insensible aux pensées étrangères. De la lecture suivie, il faut tirer d’affectueux élans, former une prière qui interrompe la lecture. Pareilles interruptions gênent moins l’âme qu’elles ne la ramènent aussitôt plus lucide à la compréhension du texte. La lecture est au service de l’intention. Si vraiment le lecteur cherche Dieu dans sa lecture, tout ce qu’il lit travaille avec lui et pour lui dans ce but et sa pensée rend captive ou asservit l’intelligence du texte en hommage au Christ. Mais s’il s’écarte de cette fin, son intention entraîne tout après elle. Il ne trouve alors rien de si saint, de si pieux dans les Écritures, qu’il n’arrive, par vaine gloire, perversion de sentiment ou dépravation d’esprit, à faire servir à sa malice et à sa vanité. C’est que la crainte du Seigneur doit être au principe de toute lecture des Ecritures : en elle s’affermit d’abord l’intention du lecteur ; de son sein jaillissent ensuite, harmonisés, l’intelligence et le sens du texte.
Lettre aux frères du Mont-Dieu, SC n° 223, p. 239-241.