mardi 2 juin 2020

Saint Bernard, Les visites du Verbe


7 juin 2020        Sainte Trinité 

Saint Jean 3,16-18.

Saint Bernard (1090-1153)
Fondateur et abbé de Clairvaux, docteur de l’Église.
Sermon 74 sur le Ct des Ct.

Les visites du Verbe


Des mouvements de départ et de retour du Verbe ont effectivement lieu dans l’âme. Jésus disait :

- Je m’en vais et je viens vers vous, Jn 14,28.
- Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et puis un peu de temps encore et vous me verrez, Jn 16,16.

Mais que ce peu de temps dure longtemps ! Mon Seigneur, appelles-tu court ce temps que nous passons sans te voir ? Ce temps est long, beaucoup trop long. Ce temps est court si l’on considère nos mérites, et long si l’on tient compte de nos désirs.

Nous trouvons ces deux affirmations chez le Prophète :
- S’il tarde à venir, attends-le, car il viendra et ne tardera pas, Ha 2,3. Comment le Prophète peut-il dire à la fois qu’il ne tardera pas et qu’il tarde à venir, sinon parce que ce délai, tout à fait normal en ce qui concerne nos mérites, paraît interminable à nos désirs… C’est que l’âme qui aime, emportée, soulevée par ses désirs, oublie son peu de mérites, ferme les yeux sur la majesté de Dieu pour les ouvrir sur ses dons et, s’appuyant sur sa grâce, se comporte envers Lui avec une totale assurance. Sans honte pour son audace, elle rappelle le Verbe. Confiante, elle Lui réclame ses douceurs, et avec sa liberté coutumière, l’âme Le nomme non pas son Seigneur, mais son Bien-aimé :
- Reviens, mon Bien-aimé, sois semblable à la gazelle et au faon des biches sur les montagnes de Bethel, Ct 2,17.

Le Verbe est venu en moi, et plus d’une fois. S’Il y est entré fréquemment, je n’ai pas toujours pris conscience de son arrivée. Je L’ai senti en moi et je me rappelle sa présence. Quelquefois j’ai même dû prévenir son entrée, mais jamais je ne l’ai sentie pas plus que son départ, Jn 3, 8. D’où est-Il venu en mon âme ? Où est-Il retourné en la quittant ? Par où a-t-Il pénétré ? Par où est-Il sorti ? Aujourd’hui encore, je l’ignore. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant, car c’est de Lui qu’il est dit :
- Nul ne connaît la trace de tes pas.

Le Verbe n’est point entré par les yeux, car Il n’a pas de couleur, ni par les oreilles, car Il est silencieux, ni par le nez, car ce n’est pas au souffle qu’il se mêle, mais à l’esprit. Il n’est pas entré par ma gorge, car Il n’est ni nourriture ni breuvage ; et je ne L’ai pas touché, car Il est impalpable. Par où est-II donc entré ? Peut-être n’est-Il pas entré, car Il ne vient pas du dehors, comme quelque chose d’extérieur. Il n’est pas non plus venu du dedans, puisqu’il est le bien et que le bien, je le sais, n’est pas en moi.

Je suis monté jusqu'au sommet de mon être, et voici que le Verbe me dominait de très haut. Explorateur curieux, je suis descendu au fond de moi-même, et je L’ai trouvé plus bas encore. J’ai regardé au-dehors, et je L’ai découvert au-delà de ce qui m’est le plus extérieur. Je me suis tourné au-dedans, et j’ai vu combien Il m’est bien plus intime que moi-même. J’ai reconnu alors la vérité de ce que j’avais lu :
- C’est en Lui que nous avons le mouvement et l’être, Ac 17,28.
Heureux celui en qui Il est, qui vit par Lui et reçoit de Lui son mouvement.

Si ses voies sont aussi insaisissables, vous me demanderez comment j’ai pu savoir qu’Il était là. C’est que le Verbe est vivant et efficace, He 4,12. Dès son entrée en moi, Il a réveillé mon âme endormie. Il a remué, adouci et blessé mon coeur, mon coeur de pierre, mon coeur malade. Il s’est mis aussi à défricher et à détruire, à bâtir et à planter, Jr 1,10, à arroser les terres arides. Il a éclairé les recoins obscurs. Il a ouvert ce qui était fermé. Il a enflammé ce qui était froid, et mon âme toute entière ne pouvait que bénir le Seigneur et tout mon être louer son saint Nom, Ps 102,1.

Quand Il est entré en moi, le Verbe Époux ne m’a jamais donné le moindre signe de son arrivée. C’est seulement le secret tremblement de mon coeur qui Le décèle. Mes vices s’enfuient, mes affections charnelles sont maîtrisées, et devant la mise en lumPs 18,13, j’ai admiré la profondeur de Sa Sagesse. L’amélioration même modeste de mon comportement m’a fait faire l’expérience de sa miséricorde.
ière du mal caché en moi,

Par la transformation et le renouvellement de mon esprit, Ep 4,23, j’ai perçu quelque chose de sa Beauté. Enfin, considérant tout cela à la fois, je suis resté stupéfait de son immense grandeur.

Dès que le Verbe s’en va, aussitôt tout commence à refroidir et s’engourdir, ce qui est bien pour moi l’indice de son départ. Alors mon âme est triste jusqu’à ce qu’Il revienne et me réchauffe le coeur comme Il sait le faire pour me signifier son retour. Si telle est vraiment mon expérience du Verbe, ne vous étonnez pas que j’ose prendre la voix de l’Épouse pour le rappeler quand Il est parti. Mon désir, sans égaler le sien, n’est cependant pas sans y ressembler. Tant que je vivrai, je ne cesserai d’utiliser pour rappeler le Verbe ce mot de - Reviens ! Je le répéterai chaque fois qu’Il s’échappera, et le désir passionné de mon coeur le poursuivra d’un cri continuel, le suppliant de revenir, de me rendre la joie de son salut, Ps 50, 14, de se rendre Lui-même à moi.