dimanche 26 avril 2020

Saint Grégoire le Grand, le bon Pasteur


St Jean 10,11-18 
St Jean  10,27-38

En ce temps-là, Jésus dit aux pharisiens : « Je suis le Bon  Pasteur. Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, celui qui n’est pas le pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit. Et le loup les emporte et les disperse. Le mercenaire s’enfuit parce qu’il est mercenaire et qu’il ne se soucie pas des brebis. Je suis le Bon Pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père. Et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura une seule bergerie et un seul Pasteur ».

Vous avez entendu, frères très chers, l’instruction qui vous est adressée par la lecture d’Evangile ; vous avez entendu aussi le péril que nous courons. Voici en effet que celui qui est bon, non par une grâce accidentelle, mais par essence, déclare : « Je suis le Bon Pasteur ». Et nous donnant le modèle de la bonté que nous devons imiter, il ajoute : « Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Il a fait ce qu’il nous a enseigné ; il a montré ce qu’il nous a ordonné. Le Bon Pasteur a donné sa vie pour ses brebis au point de changer son corps et son sang en sacrement pour nous, et de rassasier par l’aliment de sa chair les brebis qu’il avait rachetées. Il nous a tracé la voie du mépris de la mort, pour que nous la suivions ; il a placé devant nous le modèle auquel nous devons nous conformer : dépenser d’abord nos biens extérieurs en toute charité pour les brebis du Seigneur, et si nécessaire, donner même à la fin notre vie pour elles. La première forme de générosité, qui est moindre, conduit à cette dernière, qui est plus élevée. Mais puisque l’âme, par laquelle nous vivons, est incomparablement supérieure aux biens terrestres que nous possédons au-dehors, comment celui qui ne donne pas de ses biens à ses brebis serait-il disposé à donner sa vie pour elles ? Car il en est qui ont plus d’amour pour les biens terrestres que pour les brebis, et qui perdent ainsi à bon droit le nom de pasteur. C’est d’eux que le texte ajoute aussitôt après : « Le mercenaire, celui qui n’est pas le pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ».
 
Il n’est pas appelé pasteur, mais mercenaire, celui qui fait paître les brebis du Seigneur, non parce qu’il les aime du fond du cœur, mais en vue de récompenses temporelles. Il est mercenaire, celui qui occupe la place du pasteur, mais ne cherche pas le profit des âmes. Il convoite avidement les avantages terrestres, se réjouit de l’honneur de sa charge, se repaît de profits temporels et se complaît dans le respect que lui accordent les hommes. Telles sont les récompenses du mercenaire : il trouve ici-bas le salaire qu’il désire pour la peine qu’il se donne dans sa charge de pasteur, et se prive ainsi pour l’avenir de l’héritage du troupeau. Tant que n’arrive aucun malheur, on ne peut pas bien discerner s’il est pasteur ou mercenaire. En effet, au temps de la paix, le mercenaire garde ordinairement le troupeau tout comme un vrai pasteur. Mais l’arrivée du loup montre avec quelles dispositions chacun gardait le troupeau. Un loup se jette sur les brebis chaque fois qu’un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles et les humbles. Celui qui semblait être le pasteur, mais ne l’était pas, abandonne alors les brebis et s’enfuit, car craignant pour lui-même le danger qui vient du loup, il n’ose pas résister à son injuste entreprise. Il fuit, non en changeant de lieu, mais en refusant son assistance. Il fuit, du fait qu’il voit l’injustice et qu’il se tait. Il fuit, parce qu’il se cache dans le silence. C’est bien à propos que le prophète dit à de tels hommes : « Vous n’êtes pas montés contre l’ennemi, et vous n’avez pas construit de mur autour de la maison d’Israël pour tenir bon dans le combat au jour du Seigneur », Ez 13, 5. Monter contre l’ennemi, c’est s’opposer par la voix libre de la raison à tout homme puissant qui se conduit mal. Nous tenons bon au jour du Seigneur dans le combat pour la maison d’Israël, et nous construisons un mur, quand par l’autorité de la justice, nous défendons les fidèles innocents victimes de l’injustice des méchants. Et parce que le mercenaire n’agit pas ainsi, il s’enfuit lorsqu’il voit venir le loup.
 
Mais il y a un autre loup, qui ne cesse chaque jour de déchirer, non les corps, mais les âmes : c’est l’esprit malin. Il rôde en tendant des pièges autour du bercail des fidèles, et il cherche la mort des âmes. C’est de ce loup qu’il est question tout de suite après : « Et le loup emporte les brebis et les disperse ». Le loup vient et le mercenaire fuit, quand l’esprit malin déchire les âmes des fidèles par la tentation et que celui qui occupe la place du pasteur n’en a pas un soin attentif. Les âmes périssent, et il ne pense, lui, qu’à jouir de ses avantages terrestres. Le loup emporte les brebis et les disperse : il entraîne tel homme à la luxure, enflamme tel autre d’avarice, exalte tel autre par l’orgueil, jette tel autre dans la division par la colère; il excite celui-ci par l’envie, renverse celui-là en le trompant. Comme le loup disperse le troupeau, le diable fait mourir le peuple fidèle par les tentations. Mais le mercenaire n’est enflammé d’aucun zèle ni animé d’aucune ferveur d’amour pour s’y opposer : ne recherchant en tout que ses avantages extérieurs, il n’a que négligence pour les dommages intérieurs du troupeau. Aussi le texte ajoute-t-il aussitôt : « Le mercenaire s’enfuit parce qu’il est mercenaire et qu’il ne se soucie pas des brebis ». En effet, la seule raison pour laquelle le mercenaire s’enfuit, c’est qu’il est mercenaire. C’est comme si l’on disait clairement : « Demeurer au milieu des brebis en danger est impossible à celui qui conduit les brebis, non par amour des brebis, mais par recherche de profits terrestres ». Car du fait qu’il s’attache aux honneurs et se complaît dans les avantages terrestres, le mercenaire hésite à s’opposer au danger, pour ne pas perdre ce qu’il aime. Après nous avoir montré les fautes du faux pasteur, notre Rédempteur revient sur le modèle auquel nous devons nous conformer, quand il affirme : « Je suis le Bon Pasteur ». Et il ajoute : « Je connais mes brebis — c’est-à-dire :  je les aime — et mes brebis me connaissent », comme pour dire clairement : « Elles me servent en m’aimant ». Car il ne connaît pas encore la Vérité, celui qui ne l’aime pas.
 
Maintenant que vous avez entendu, frères très chers, quel est notre péril, considérez également, dans les paroles du Seigneur, quel est le vôtre. Voyez si vous êtes de ses brebis, voyez si vous le connaissez, voyez si vous percevez la lumière de la Vérité. Précisons : si vous la percevez, non par la seule foi, mais par l’amour. Oui, précisons : si vous la percevez, non en vous contentant de croire, mais en agissant. En effet, le même évangéliste Jean qui parle dans l’évangile de ce jour déclare ailleurs : « Celui qui dit connaître Dieu, mais ne garde pas ses commandements, est un menteur », 1 Jn 2, 4. C’est pourquoi ici le Seigneur ajoute aussitôt : « Comme le Père me connaît et que je connais le Père. Et je donne ma vie pour mes brebis ». C’est comme s’il disait clairement : « Ce qui prouve que je connais le Père et que je suis connu du Père, c’est que je donne ma vie pour mes brebis ; je montre combien j’aime le Père par cette charité qui me fait mourir pour mes brebis ». Mais parce qu’il était venu racheter, non seulement les Juifs, mais aussi les païens, il ajoute : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura une seule bergerie et un seul Pasteur ». C’est notre rédemption à nous, venus des peuples païens, que le Seigneur avait en vue lorsqu’il parlait de conduire aussi d’autres brebis. Et cela, mes frères, vous pouvez en constater chaque jour la réalisation. C’est ce que vous voyez aujourd’hui accompli dans la réconciliation des païens. Il a pour ainsi dire constitué une seule bergerie avec deux troupeaux, en réunissant les peuples juif et païen dans une même foi en sa personne, comme l’atteste Paul par ces paroles : « Il est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un », Ep 2, 14. Il conduit les brebis à sa propre bergerie quand il choisit pour la vie éternelle des âmes simples de l’un et l’autre peuple. C’est de ces brebis que le Seigneur dit ailleurs : « Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent, et je leur donne la vie éternelle », Jn 10, 27-28. C’est d’elles qu’il déclare un peu plus haut : « Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, et il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages », Jn 10, 9. Il entrera en venant à la foi ; il sortira en passant de la foi à la vision face à face, de la croyance à la contemplation; et il trouvera pour s’y rassasier des pâturages d’éternité (suite et fin du sermon de Saint Grégoire le Grand).

(Début du sermon de Saint Grégoire le Grand) « Les brebis du Seigneur trouvent des pâturages, puisque tous ceux qui le suivent d’un cœur simple se rassasient en pâturant dans des prairies éternellement vertes.
Et quels sont les pâturages de ces brebis, sinon les joies intérieures d’un paradis à jamais verdoyant ? Car les pâturages des élus sont la présence du visage de Dieu, dont une contemplation ininterrompue rassasie indéfiniment l’âme d’un aliment de vie. Ceux qui ont échappé aux pièges du plaisir fugitif goûtent, dans ces pâturages, la joie d’un éternel rassasiement. Là les chœurs des anges chantent des hymnes; là sont réunis les citoyens du Ciel. Là se célèbre une fête solennelle et douce pour ceux qui reviennent de ce triste et pénible exil terrestre. Là se rencontrent les chœurs des prophètes qui ont prévu l’avenir; là siège pour juger le groupe des apôtres ; là est couronnée l’armée victorieuse des innombrables martyrs, d’autant plus joyeuse là-haut qu’elle a été plus cruellement éprouvée ici-bas; là, les confesseurs sont consolés de leur constance par la récompense qu’ils reçoivent; là se rencontrent les hommes fidèles dont les voluptés du monde n’ont pu amollir la robuste virilité, là les saintes femmes qui, outre le monde, ont vaincu la faiblesse de leur sexe, là les enfants qui ont devancé le nombre des années par la maturité de leurs mœurs, là enfin les vieillards que l’âge a rendus si faibles, sans pourtant leur faire perdre le cœur à l’ouvrage.

Recherchons donc, frères très chers, ces pâturages où nous partagerons la fête et la joie de tels concitoyens. Le bonheur même de ceux qui s’y réjouissent nous y invite. N’est-il pas vrai que si le peuple organisait quelque part une grande foire, ou qu’il accourait à l’annonce de la dédicace solennelle d’une église, nous nous empresserions de nous retrouver tous ensemble ? Chacun ferait tout pour y être présent, et croirait avoir beaucoup perdu s’il n’avait eu le spectacle de l’allégresse commune. Or voici que dans la cité céleste, les élus sont dans l’allégresse et se félicitent à l’envi au sein de leur réunion; et cependant, nous demeurons tièdes quand il s’agit d’aimer l’éternité, nous ne brûlons d’aucun désir, et nous ne cherchons pas à prendre part à une fête si magnifique. Et privés de ces joies, nous sommes contents !

Réveillons donc nos âmes, mes frères ! Que notre foi se réchauffe pour ce qu’elle a cru, et que nos désirs s’enflamment pour les biens d’en haut : les aimer, c’est déjà y aller. Ne laissons aucune épreuve nous détourner de la joie de cette fête intérieure : lorsqu’on désire se rendre à un endroit donné, la difficulté de la route, quelle qu’elle soit, ne peut détourner de ce désir. Ne nous laissons pas non plus séduire par les caresses des réussites. Combien sot, en effet, est le voyageur qui, remarquant d’agréables prairies sur son chemin, oublie d’aller où il voulait. Que notre âme ne respire donc plus que du désir de la patrie céleste, qu’elle ne convoite plus rien en ce monde, puisqu’il lui faudra assurément l’abandonner bien vite. Ainsi, étant de vraies brebis du céleste Pasteur, et ne nous attardant pas aux plaisirs de la route, nous pourrons, une fois arrivés, nous rassasier dans les pâturages éternels ».

Notredamedesneiges.over-blog.com

Extrait d’un Sermon sur le Bon Pasteur, par le Pape Saint Grégoire le Grand,

mardi 21 avril 2020

Regarder le Christ

St Luc 24,18-35  - 3 ème  dimanche de Pâques

Les deux disciples d'Emmaüs


Regarder le Christ

Pour prier comme il faut, vous devez […] trouver une compagnie.
Mais quelle meilleure compagnie que celle du Maître lui-même qui vous a enseigné la prière que vous allez réciter ?




Imaginez que le Seigneur est tout près de vous, et regardez avec quel amour et avec quelle humilité il vous instruit. Croyez-moi, faites tout votre possible pour ne jamais vous séparer d’un si bon ami. Si vous vous habituez à le garder près de vous, et s’il voit que vous le faites avec amour et que vous vous efforcez de le contenter, il ne vous manquera jamais, il vous aidera dans toutes vos difficultés,  il  sera  partout  avec  vous.  Pensez-vous  que  ce  soit  peu  de chose que d’avoir un tel ami à vos côtés ? […] Je ne vous demande pas de  penser  à  lui,  ni  de  forger  quantité  de  concepts  ou  de  les  tirer  de votre  esprit.  Je  ne  vous  demande  que  de  le  regarder.  Qui  peut  vous empêcher  de  tourner  les  yeux  de  l’âme,  ne  serait-ce  qu’un  instant  si vous ne pouvez davantage, vers lui ?

Sainte Thérèse d'Avila (1515-1582)
Le chemin de perfection 26,1-3 dans le texte Escorial, numérotation Valladolid.

lundi 13 avril 2020

Basile de Séleucie, St Thomas, St Jean 20,19-31

2ème dimanche de Pâques, Saint Jean 20,19-31


« Mets ton doigt dans la marque des clous », dit Jésus à Thomas. « Tu me cherchais quand je n’étais pas là, profites-en maintenant. Je connais ton désir malgré ton silence. Avant que tu ne me le dises, je sais ce que tu penses. Je t’ai entendu parler, et quoique invisible, j’étais auprès de toi, auprès de tes doutes, et sans me faire voir, je t’ai fait attendre, pour mieux regarder ton impatience. Mets ton doigt dans la marque des clous. Mets ta main dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais crois. »

Alors Thomas le touche : toute sa défiance tombe et rempli d’une foi sincère et de tout l’amour que l’on doit à son Dieu, il s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Et le Seigneur lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ; heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! Thomas, porte la nouvelle de ma résurrection à ceux qui ne m’ont pas vu. Entraîne toute la terre à croire non à ses yeux, mais à ta parole. Parcours les peuples et les cités païennes. Apprends-leur à porter la croix sur les épaules au lieu des armes… Dis-leur qu’ils sont appelés par la grâce, et toi, contemple leur foi : heureux, en vérité, ceux qui n’ont pas vu et ont cru ! »

Telle est l’armée que lève le Seigneur ; tels sont les enfants de la piscine baptismale, les œuvres de la grâce, la moisson de l’Esprit. Ils ont suivi le Christ sans l’avoir vu, ils l’ont cherché et ils ont cru. Ils ont reconnu avec les yeux de la foi, non du corps. Ils n’ont pas mis leurs doigts dans les marques des clous, mais ils se sont attachés à sa croix et ont embrassé ses souffrances. Ils n’ont pas vu le côté du Seigneur, mais par la grâce ils se sont unis à ses membres et ils ont fait leur cette parole du Seigneur :

« Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! »

Basile de Séleucie (?-v. 468), évêque
Sermon pour la Résurrection, 1-4 (trad. Brésard, 2000 ans B, p. 128 rev.)

Saint Jean Chrysostome, Jour de la résurrection, jour de joie



D'une Homélie attribuée à 

saint Jean Chrysostome
(v. 345-407), prêtre à Antioche puis évêque de Constantinople, docteur de l'Église 
(trad. SC 187, p. 321 rev. Brésard) 

 
Jour de la résurrection, 
jour de notre joie

  

 « Voici le jour que le Seigneur a fait ; 
passons-le dans la joie et dans l'allégresse ! » (Ps 117,24)
Pourquoi ?
Parce que le soleil n'est plus obscurci, mais tout s'illumine ; le voile du Temple n'est plus déchiré, mais l'Église est révélée ; nous ne tenons plus des rameaux de palmier, mais nous entourons les nouveaux baptisés. 

      « Voici le jour que le Seigneur a fait »...
Voici le jour au sens propre, le jour triomphal, le jour consacré à fêter la résurrection, le jour où l'on se pare de grâce, le jour où l'on partage l'Agneau spirituel, le jour où l'on abreuve de lait ceux qui viennent de naître, le jour où se réalise le plan de la Providence en faveur des pauvres.
« Passons ce jour dans la joie et dans l'allégresse »... 

      Voici le jour où Adam a été libéré, où Ève a été délivrée de sa peine, où la mort sauvage a frémi, où la puissance des pierres a été brisée, où les verrous des tombeaux ont été arrachés..., où les lois immuables des puissances des enfers ont été abrogées, où les cieux se sont ouverts quand le Christ, notre Maître, est ressuscité.
Voici le jour où, pour le bien des hommes, la plante verdoyante et fertile de la résurrection a multiplié ses rejetons dans tout l'univers comme dans un jardin, où les lys des nouveaux baptisés se sont épanouis..., où la foule des croyants se réjouissent, où les couronnes des martyrs reverdissent.
« Voici le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans la joie et dans l'allégresse. »

paris.syro-orthodoxe-francophone.over-blog.

mardi 7 avril 2020

Du silence à la joie, prier à la lumière de Pâques, soeur Monique-Anne Giroux Or.A

Une hymne de Carême nous invite à « veiller et prier dans l'attente du jour". La liturgie nous entraîne dans le cycle de la Vie, où tout recommence et se renouvelle d'âge en âge, dans une conscience qui se réveille peu à peu à la présence de l’Éternel, à la vie de celui qui est, qui était et qui vient. Joies et peines rythment nos vies. Dans l'attente, l’absence et le manque dans ces grands silences, nous recherchons ton souffle créateur. « Le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux » (Gn 1, 2). Monique-Anne Giroux 

 Seigneur, je contemple les silences qui ont communiqué ta vie.
Après le silence de la nuit à Bethléem et celui de ta jeunesse vécue à Nazareth, tu as pris la parole :
« Jésus se leva pour faire la lecture... “L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres”.
Sans tarder, tu as dû faire face aux esprits, aux tempêtes, aux incompréhensions de tes amis. « Un homme de la ville, possédé par des démons, vint à sa rencontre » (Lc 8, 27).
« Les vagues se jetaient sur la barque... Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : “Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien?” » (Mc 4, 37. 38). Poursuivi, finalement jugé, tu t’es tu.

Dans le silence et la prière
« Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche » (Is 53, 7). « Le grand prêtre lui dit : “Tu ne réponds rien?” » (Mt 26, 62-63).
Tu a prié dans la nuit et le silence de ta solitude à Gethsémani. « Jésus priait... Il rejoignit ses
disciples qu’il trouva endormis, accablés de tristesse » (Lc 22, 44. 46).

Sur la Croix, tu priais.
« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
Et là, tu as trouvé un frère, crucifié avec toi.
« Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 43).
« Il y avait un tombeau neuf... C’est là qu’ils déposèrent Jésus » (Jn 19, 41. 42).

Le tombeau s’est refermé.
Tout semble vide, perdu dans le silence de la séparation et le désarroi devant la perte d’un être cher. Nous manquons de paroles pour aider nos proches eux-mêmes.
Dans la prière, quand tout paraît inhabité, nous percevons ton silence comme une absence. Nous veillons dans la nuit, nous cherchons ta présence. Paroles et silences tissent nos prières, nos rencontres et nos partages. Le silence peut être pesant, il peut aussi créer un espace où tout peut être
dit, entendu, sans condamnation. Ouvert à l’espérance, il peut être promesse d’une nouvelle naissance.
« Amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne
peut voir le royaume de Dieu » (Jn 3, 3).
L’homélie ancienne du Samedi saint exprime ce silence
qui ouvre à l’espérance :
« Que se passe-t-il ?  “Aujourd’hui grand silence sur la terre – et ensuite solitude – parce que Dieu s’est endormi
dans la chair. Il veut visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. C’est vers l’homme captif que Dieu se dirige pour le délivrer. Il le relève :
“C’est moi qui, pour toi, te parle maintenant... Éveille-toi, relève-toi, sois illuminé.” »
Tissé de paroles et de silences, ton langage m’invite à faire silence pour écouter le langage de la Révélation. C’est dansle silence, la solitude et la nuit, que se réalise le triomphe
de ta Résurrection, la victoire de Dieu sur le péché, expression de la totale union entre Jésus et son Père.

Notre cœur n’est-il pas tout brûlant lorsque nous te reconnaissons dans ta Parole... Fais-toi reconnaître dans les situations que nous vivons (cf. Lc 24, 13-35). Ton peuple se souvient du passage de la mer Rouge, de sa longue marche au désert. En ce soir où le feu flamboie, Seigneur, embrase nos cœurs au feu de ton amour.

Et notre joie éclate en cette nuit de Pâques
« Nous te louons, splendeur du Père. Jésus, Fils de Dieu.
Qu’éclate dans le ciel la joie des anges, qu’éclate de partout la joie du monde, qu’éclate dans l’Église la joie des fils de Dieu, La lumière éclaire l’Église, la lumière éclaire la terre, peuples, chantez... Demain se lèvera l’aube nouvelle d’un monde rajeuni dans la Pâque de ton Fils! Et que règnent la
Paix, la Justice et l’Amour, et que passent tous les hommes de cette terre à ta grande maison, par Jésus Christ! »
Tout est allégresse en cette nuit de Pâques. La chasuble blanche ou dorée symbolise la joie de la lumière, le cierge pascal va rester allumé jusqu'à la Pentecôte pour rappeler la présence du Christ. Les flammes de nos cierges scintillent.

« Je suis la lumière du monde. Qui me suit aura la lumière
de la Vie» (Jn 8, 12).
Seigneur je te rends grâce pour ton œuvre que tu poursuis.
Tu renouvelles ton alliance avec ton peuple.
Tu te fais proche de chacun de nous.
Tu te fais reconnaître à Marie de Magdala désemparée et
tu l’envoies auprès des disciples (cf. Jn 20, 11-18).
Tu te révèles à tes disciples et tu les envoies en leur communiquant ton Esprit Saint (cf. Jn 20, 19-23).
Tu confirmes Thomas dans sa foi, et tu l’invites à croire sans voir (cf. Jn 20, 24-29).
Tu te manifestes lors de la pêche miraculeuse et le partage du repas (cf. Jn 21, 1-14).
Tu apparais aux onze disciples (cf. Lc 24, 36-50).
Tu confies à Pierre sa mission (cf. Jn 21, 15-19).
Et ton œuvre se déploie sans fin : « Jésus a fait encore bien d’autres choses, et si on les écrivait une à une, le monde entier ne pourrait, je pense contenir le livre qu’on écrirait, Jn 21.25.


UNE PRIERE

La nuit a été longue, et nous avons péché
toute la nuit sans rien prendre.

Le matin, tu apparais incognito sur le rivage,
sur ton appel, nous jetons les filets.

Les poissons sont abondants,
et Pierre te reconnaît.

Donne-nous d’écouter ta parole,
de la mettre en pratique, de chercher
ta présence sans jamais nous lasser,

Et de savoir la manifester à tous,
dans une foi renouvelée.

L’aurore pointe. La nuit devient lumière.
La lumière brille sur le monde et le transfigure.
La vie jaillit en nos cœurs. Tout renaît
et chante la gloire de Dieu. Le Christ a vaincu
la mort, il a tiré les morts à la vie.

Ta parole nous rejoint et nous entraîne
dans ce passage de nos ombres vers
ta lumière de Ressuscité.

Que tous bénissent ton Nom, à jamais.

Saint Epiphane de Salamine, Un grand silence règne aujourd'hui sur la terre


Samedi saint 


Eveille-Toi, ô toi qui dors

Homélie ancienne pour le grand et saint Samedi
attribuée à Epiphane de Salamine



Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre ; grand silence et ensuite solitude parce que le roi sommeille.La terre a tremblé et elle s’est apaisée , parce que Dieu s’est endormi dans la chair et il a évéillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s’est mis à trembler.


C’est le premier homme qu’il va chercher, comme la brebis perdue. Il veut aussi visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort . Oui c’est vers Adam captif, en même temps que vers Eve, captive elle aussi, que Dieu se dirige, et son Fils avec lui, pour les délivrer de leurs douleurs.


Le Seigneur s’est avancé vers eux, muni de la croix, l’arme de sa victoire. Lorsqu’il le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s’écria vers tous les autres : "Mon Seigneur avec nous tous !" Et le Christ répondit à Adam "Et avec ton esprit." Il le prend par la main et le relève en disant : Eveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.

"C’est moi ton Dieu, qui pour toi, suis devenu ton fils ; c’est moi qui, pour toi et pour tes descendants, te parle maintenant et qui, par ma puissance, ordonne à ceux qui sont dans tes chaînes : Sortez. A ceux qui sont endormis : Relevez-vous.


"Je te l’ordonne : Eveille-toi, ô toi qui dors, je ne t’ai pas crée pour que tu demeures captif du séjour des morts.

Relève-toi d’entre les morts : moi, je suis la vie des morts.
Lève-toi, oeuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable, qui as été créé à mon image.

Eveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en moi, et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible.
"C’est pour toi que moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ;
c’est pour toi que moi, le Maître, j’ai pris ta forme d’esclavage ;
c’est pour toi que moi, qui domine les cieux, je suis venu sur la terre, et au-dessous de la terre ; c’est pour toi, l’homme, que je suis devenu comme un homme abandonné, libre entre les morts ; c’est pour toi, qui es sorti du jardin, que j’ai été livré aux juifs dans un jardin et que j’ai été crucifié dans un jardin.

"Vois les crachats sur mon visage ; c’est pour toi que je les ai subis afin de te ramener à ton premier souffle de vie. Vois les soufflets sur mes joues : je les ai subis pour rétablir ta forme défigurée afin de la restaurer à mon image.

"Vois la flagellation sur mon dos, que j’ai subie pour éloigner le fardeau de tes péchés qui pesait sur ton dos. Vois mes mains solidement clouées au bois, à cause de toi qui as péché en tendant la main vers le bois.

"Je me suis endormi sur la croix, et la lance a pénétré dans mon côté, à cause de toi qui t’es endormi dans le paradis et, de ton côté, tu as donné naissance à Eve. Mon côté a guéri la douleur de ton côté ; mon sommeil va te tirer du sommeil des enfers. Ma lance a arrêté la lance qui se tournait vers toi.

"Lève-toi, partons d’ici . L’ennemi t’a fait sortir de la terre du paradis ; moi je ne t’installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t’ai écarté de l’arbre symbolique de la vie ; mais voici que moi, qui suis la vie, je ne fais qu’un avec toi.


J’ai posté les chérubins pour qu’ils te gardent comme un serviteur ; je fais maintenant que les chérubins t’adorent comme un Dieu. "Le trône des chérubins est préparé, les porteurs sont alertés, le lit nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur sont ouverts et le royaume des cieux est prêt de toute éternité."


Saint Épiphane de Salamine,
Un Père de l'Église qui vécut à Chypre au IVe siècle

SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND POUR LA PASSION

Vendredi saint



Gloire et puissance de la croix.

Le Seigneur est livré à ceux qui le haïssent. Pour insulter sa dignité royale, on l'oblige à porter lui-même l'instrument de son supplice. Ainsi s'accomplissait l'oracle du prophète Isaïe : Il a reçu sur ses épaules le pouvoir. En se chargeant ainsi du bois de la croix, de ce bois qu'il allait transformer en sceptre de sa force, c'était certes aux yeux des impies un grand sujet de dérision mais, pour les fidèles, un mystère étonnant : Le vainqueur glorieux du démon, l'adversaire tout-puissant des puissances du mal, présentait sur ses épaules, avec une patience invincible, le trophée de sa victoire, le signe du salut, à l'adoration de tous les peuples.



Comme la foule allait avec Jésus au lieu du supplice, on rencontra un certain Simon de Cyrène, et on fit passer le bois de la croix des épaules du Seigneur sur les siennes. Ce transfert préfigurait la foi des nations, pour qui la croix du Christ devait devenir, non un opprobre, mais une gloire. En vérité, le Christ, notre Pâque, a été immolé. Il s'est offert au Père en sacrifice nouveau et véritable de réconciliation, non dans le Temple, dont la dignité avait déjà pris fin, mais à l'extérieur et hors du camp, pour qu'à la place des victimes anciennes dont le mystère était aboli, une nouvelle victime fût présentée sur un nouvel autel, et que la croix du Christ fût cet autel, non plus du temple, mais du monde.

Devant le Christ élevé en croix, il nous faut dépasser la représentation que s'en firent les impies, à qui fut destinée la parole de Moïse : Votre vie sera suspendue sous vos yeux, et vous craindrez jour et nuit, sans pouvoir croire à cette vie. Pour nous, accueillons d'un cœur libéré la gloire de la croix qui rayonne sur le monde. Pénétrons d'un regard éclairé par l'Esprit de vérité le sens de la parole du Seigneur annonçant l'imminence de sa Passion : C'est maintenant le jugement du monde, c'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, une fois élevé de terre, j'attirerai tout à moi.

Ô admirable puissance de la croix ! Ô gloire inexprimable de la Passion ! En elle apparaît en pleine lumière le jugement du monde et la victoire du Crucifié ! Oui, Seigneur, tu as tout attiré à toi ! Alors que tu avais tendu les mains tout le jour vers un peuple rebelle, le monde entier comprit qu'il devait rendre gloire à ta majesté. Tu as tout attiré à toi, Seigneur, puisque, le voile du temple déchiré, le saint des saints devenu béant, la figure a fait place à la réalité, la prophétie à son accomplissement, la Loi à l'Évangile. Tu as tout attiré à toi, Seigneur, puisque la piété de toutes les nations célèbre partout, au vu et au su de tous, le mystère qui jusqu'alors était voilé sous des symboles dans un temple unique de Judée.

Ta croix, ô Christ, est la source de toutes les bénédictions, la cause de toute grâce. Par elle, les croyants tirent de leur faiblesse la force, du mépris reçu la gloire, et de la mort la vie. Désormais, l'unique offrande de ton corps et de ton sang donne leur achèvement à tous les sacrifices, car tu es, ô Christ, le véritable Agneau de Dieu, toi qui enlèves le péché du monde. L'ensemble des mystères trouve en toi seul son sens plénier : au lieu d'une multitude de victimes, il n'y a plus qu'un unique sacrifice.

https://www.aelf.org/2020-04-10

L'agneau sans défaut ..., Méliton de Sardes jeudi saint



L’Homélie sur la Pâque « L'Agneau sans défaut et sans tâche » de Méliton de Sardes :



«Bien des choses ont été annoncées par de nombreux prophètes en vue du mystère de Pâques qui est le Christ : à Lui la Gloire pour les siècles des siècles. Amen.



C'est Lui qui est venu des cieux sur la terre en faveur de l'homme qui souffre ; Il a revêtu cette nature dans le sein de la Vierge et, quand Il en est sorti, Il était devenu homme ; Il a pris sur Lui les souffrances de l'homme qui souffre, avec un corps capable de souffrir, et Il a détruit les souffrances de la chair ; par l'esprit incapable de mourir, Il a tué la mort homicide.

Conduit comme un agneau et immolé comme une brebis, Il nous a délivrés de l'idolâtrie du monde comme de la terre d'Egypte ; Il nous a libérés de l'esclavage du démon comme de la puissance de Pharaon ; Il a marqué nos âmes de son propre Esprit, et de son Sang les membres de notre corps.


C'est Lui qui a plongé la mort dans la honte et qui a mis le démon dans le deuil, comme Moïse a vaincu Pharaon. C'est Lui qui a frappé le péché et a condamné l'injustice à la stérilité, comme Moïse a condamné l'Egypte.


C'est Lui qui nous a fait passer de l'esclavage à la liberté, des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la tyrannie à la royauté éternelle, Lui qui a fait de nous un sacerdoce nouveau, un peuple choisi, pour toujours. C'est Lui qui est la Pâque de notre salut.


C'est Lui qui endura bien des épreuves en un grand nombre de personnages qui Le préfiguraient : en Abel Il a été tué ; en Isaac Il a été lié sur le bois ; en Jacob Il a été exilé ; en Joseph Il a été vendu ; en Moïse Il a été exposé à la mort ; dans l'agneau Il a été égorgé ; en David Il a été en butte aux persécutions ; dans les prophètes Il a été méprisé.


C'est Lui qui s'est incarné dans une vierge, a été suspendu au bois, enseveli dans la terre, ressuscité d'entre les morts, élevé dans les hauteurs des cieux.


C'est Lui, l'agneau muet ; c'est Lui, l'agneau égorgé ; c'est Lui qui est né de Marie, la brebis sans tache ; c'est Lui qui a été pris du troupeau, traîné à la boucherie, immolé sur le soir, mis au tombeau vers la nuit. Sur le bois, ses Os n'ont pas été brisés ; dans la terre, Il n'a pas connu la corruption ; Il est ressuscité d'entre les morts et Il a ressuscité l'humanité gisant au fond du tombeau.


Ainsi soit-il. »

Voici un extrait de l’Homélie sur la Pâque de Notre Seigneur Jésus-Christ repris dans la Liturgie des Heures du Jeudi Saint « L'Agneau sans défaut et sans tâche » de Méliton de Sardes (v. 150-190), Evêque de Sardes en Lydie dans l’Asie Mineure .http://site-catholique.fr/

lundi 6 avril 2020

St Augustin, commentaire St Jean, mercredi saint





« Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis », saint Jean 15,13.

La plénitude de l'amour dont nous devons nous chérir mutuellement, frères très chers, le Seigneur l'a définie lorsqu'il a dit : Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. ~ Il en découle ce que le même évangéliste saint Jean dit dans sa lettre : De même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même devons-nous donner notre vie pour nos frères. Oui, nous devons nous aimer mutuellement comme il nous a aimés, lui qui a donné sa vie pour nous.




C'est bien ce qu'on lit dans les Proverbes de Salomon : Si tu t'assieds à la table d'un grand, regarde bien les mets qui te sont servis, et prépare-toi à l'action, car tu sais que tu dois lui en offrir autant. Quelle est cette table d'un grand, sinon celle où l'on consomme le corps et le sang de celui qui a donné sa vie pour nous ? Qu'est-ce que s'y asseoir, sinon y prendre place humblement ? Qu'est-ce que bien regarder les mets qui te sont servis, sinon prendre conscience d'une si grande grâce ? Qu'est-ce que te préparer à l'action parce que tu dois lui en offrir autant, sinon ce que j'ai déjà dit : que nous devons donner notre vie pour nos frères comme le Christ a donné sa vie pour nous ? Comme le dit en effet l'Apôtre Pierre : Le Christ a souffert pour nous et nous a laissé son exemple afin que nous suivions ses traces : c'est cela, lui en offrir autant. C'est ce que les martyrs ont fait avec un ardent amour. Si nos célébrations sur leurs tombeaux ont un sens, si nous prenons place à la table du Seigneur, pour le banquet où ils se sont eux-mêmes rassasiés, il faut que, comme eux, nous sachions en offrir autant.

C'est pourquoi nous faisons mémoire des martyrs, en prenant place à cette table, non pas afin de prier pour eux, comme pour les autres défunts qui reposent dans la paix : c'est bien plutôt afin qu'ils prient pour nous, et que nous suivions leurs traces. Car ils ont accompli cet amour dont le Seigneur a dit qu'il ne peut en être de plus grand. Ils ont offert à leurs frères cela même qu'ils ont reçu à la table du Seigneur.

Ceci ne signifie pas que nous puissions égaler le Christ Seigneur, si nous témoignons pour lui jusqu'à verser notre sang. Il avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre ; mais nous, nous ne vivons pas autant que nous voulons, et nous mourons même si nous ne le voulons pas. Lorsqu'il est mort, il a aussitôt anéanti la mort, et nous, nous sommes délivrés de la mort dans sa mort. Sa chair n'a pas connu la corruption ; notre chair, après la corruption, à la fin du monde, sera revêtue par lui d'incorruptibilité. Lui n'avait pas besoin de nous sauver, tandis que sans lui nous ne pouvons rien faire : il s'est montré comme la vigne dont nous sommes les sarments et nous ne pouvons avoir la vie en dehors de lui.

Enfin, si des frères meurent pour leurs frères, néanmoins le sang d'aucun martyr n'est versé pour le pardon des péchés commis par ses frères, ce que le Seigneur a fait pour nous. En cela, il ne nous a pas chargés de l'imiter, mais de lui rendre grâce. Lorsque les martyrs ont versé leur sang pour leurs frères, ils en ont donc offert autant que ce qu'ils avaient reçu à la table du Seigneur. ~ Aimons-nous donc les uns les autres, ainsi que le Christ nous a aimés et s'est livré pour nous.

Commentaire, AELF