Un puits, celui de Jacob, celui qui
apaise la soif, celui du baiser de Jacob à Rachel il y a très longtemps, Gn 29,11, celui aujourd'hui d'une autre rencontre. Une femme, une
samaritaine vient puiser à ce puits. Un homme, un juif demande de l'eau à
cette femme. Tout les sépare : le sexe, la religion, la géographie,
l'histoire. Et pourtant, rencontre ; mystère d'une rencontre lourde de
sens et de symbole au détour d'un dialogue aussi profond et insondable
que ce puits d'eau entre cette femme et cet homme.
Un puits caché depuis la fondation du
monde se décèle pour révéler une eau vive. Comme en puits, une ouverture
en surface, un passage en profondeur, un fond et l'eau qui est là ;
comme en puits s'opère une rencontre risquée en surface, profonde par
son passage de l'écoute et du dialogue jusqu'à atteindre cette eau vive
au fond qui jaillit.
Cette prise de risque est à l'initiative
de Jésus, un juif qui traverse le pays de Samarie. Le contentieux
religieux et historique est séculaire et enraciné au point que ceux du
royaume de Juda qui adorent sur le mont Garizim, les samaritains, ne
fréquentent pas ceux du royaume d'Israël qui adorent au temple de
Jérusalem, les juifs. Depuis la conquête de Samarie par Jean Hyrcan 1er,
il y a environ un siècle avant cette rencontre, juifs et samaritains
n'existent plus les uns pour les autres sinon comme ennemis
héréditaires.
Mais Jésus va bien plus loin encore que
de traverser ce pays hostile et l'inouï retentit. Un juif considéré
comme un rabbi par ses disciples entre en dialogue non seulement avec un
habitant de Samarie mais qui plus est avec une femme. La Samaritaine
elle-même en est troublée. Un juif lui parle à elle une femme
samaritaine lui fait-elle entendre.
La parole fait jour alors sur cette
rencontre risquée et contrastée ou l'un comme l'autre sont en réalité
habités d'un vrai désir, d'une vraie soif d'autre chose. Jésus demande
de l'eau pour sa soif d'homme fatigué de la chaleur et du chemin,
surface. Et la Samaritaine l'interpelle sur l'audace de sa parole de lui
demander de l'eau, surface ; et lui de répondre que boire de la sienne
étanche toute soif à jamais, passage en profondeur. Il creuse à la
surface d'un monde apparent où la Samaritaine désire cette eau pour ne
plus avoir à puiser. Nous pénétrons dans un mystère. Mystère de cette
femme au nom inconnue qui dit sa soif. Mystère de cet homme Jésus qui a
soif lui aussi mais d'abreuver cette samaritaine d'une « source d'eau
jaillissant pour la vie éternelle » lui dit-il. Mystère de cette eau que
Jésus offre à boire qu'il a pour elle et qu'il veut pour elle. Parce
qu'il sait que cette eau c'est lui qui la possède et qu'il veut faire
d'elle comme un puits. Il désire déposer en son fond son eau vive et
creuse en elle ce désir.
Pour creuser, lui révèle-t-il qu'il la
connaît : « Tu as raison de dire que tu n'as pas de mari : des maris, tu
en as eu cinq... » et elle voit alors qu'il est prophète. Et ce
prophète lui révèle plus encore que l'heure vient d'adorer le Père en
esprit et en vérité où il n'y aura plus à aller ni sur cette montagne ni
à Jérusalem. Et la samaritaine de savoir surtout qu'il vient le Messie,
celui qu'on appelle Christ qui fera connaître toutes choses. Elle sait
aussi désormais que cet homme, ce juif, ce prophète lui a fait connaître
qu'il connaissait toutes choses d'elle. Du fond de son cœur, jaillit
l'eau vive qui lui fait reconnaître le Christ. Désormais, la cruche peut
rester à la surface du puits, l'eau déposée en la samaritaine, en son
fond est devenue une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle.
Elle est un puits vivant et revient à la ville pour dire : « Venez voir
un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le
Christ ? »
Frères et sœurs, comme avec la
samaritaine, le Seigneur est là, caché au milieu de notre traversée du
désert. Il est là, présent à notre vie en quête de fraternité et de
communion. Il est là, présent à notre monde en quête de paix et de
justice. Il est là, caché à la surface de notre exode quêtant notre
désir pour y creuser un passage en profondeur. Comme avec la
samaritaine, il nous invite à abandonner les puits aux eaux stagnantes
de nos craintes, de nos histoires et de nos peurs. Mais comme avec la
samaritaine, ce puits ne se décèle dans notre cœur avec son eau vive
qu'à la mesure où nous nous quittons nous-mêmes toujours au détour de
l'autre. Quitter nos idées reçues, nos préjugés, nos certitudes sur
l'autre, quitter notre quant-à-soi sans cesse. Marcher à la rencontre de
l'autre par le dialogue et par l'écoute pour que se décèle peut-être
le puits de celui qui vient en esprit et en vérité nous révéler sa
présence par l'autre et nous en abreuver par l'autre et faire de nous
aussi alors des puits vivants pour les autres. Amen.
fr. Nathanaël
https://www.encalcat.com/3-dimanche-de-careme-
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire