samedi 14 mars 2020

Saint Jean 4,5-52, la Samaritaine

Un puits, celui de Jacob, celui qui apaise la soif, celui du baiser de Jacob à Rachel il y a très longtemps, Gn 29,11, celui aujourd'hui d'une autre rencontre. Une femme, une samaritaine vient puiser à ce puits. Un homme, un juif demande de l'eau à cette femme. Tout les sépare : le sexe, la religion, la géographie, l'histoire. Et pourtant, rencontre ; mystère d'une rencontre lourde de sens et de symbole au détour d'un dialogue aussi profond et insondable que ce puits d'eau entre cette femme et cet homme.

Un puits caché depuis la fondation du monde se décèle pour révéler une eau vive. Comme en puits, une ouverture en surface, un passage en profondeur, un fond et l'eau qui est là ; comme en puits s'opère une rencontre risquée en surface, profonde par son passage de l'écoute et du dialogue jusqu'à atteindre cette eau vive au fond qui jaillit.

Cette prise de risque est à l'initiative de Jésus, un juif qui traverse le pays de Samarie. Le contentieux religieux et historique est séculaire et enraciné au point que ceux du royaume de Juda qui adorent sur le mont Garizim, les samaritains, ne fréquentent pas ceux du royaume d'Israël qui adorent au temple de Jérusalem, les juifs. Depuis la conquête de Samarie par Jean Hyrcan 1er, il y a environ un siècle avant cette rencontre, juifs et samaritains n'existent plus les uns pour les autres sinon comme ennemis héréditaires.

Mais Jésus va bien plus loin encore que de traverser ce pays hostile et l'inouï retentit. Un juif considéré comme un rabbi par ses disciples entre en dialogue non seulement avec un habitant de Samarie mais qui plus est avec une femme. La Samaritaine elle-même en est troublée. Un juif lui parle à elle une femme samaritaine lui fait-elle entendre.

La parole fait jour alors sur cette rencontre risquée et contrastée ou l'un comme l'autre sont en réalité habités d'un vrai désir, d'une vraie soif d'autre chose. Jésus demande de l'eau pour sa soif d'homme fatigué de la chaleur et du chemin, surface. Et la Samaritaine l'interpelle sur l'audace de sa parole de lui demander de l'eau, surface ; et lui de répondre que boire de la sienne étanche toute soif à jamais, passage en profondeur. Il creuse à la surface d'un monde apparent où la Samaritaine désire cette eau pour ne plus avoir à puiser. Nous pénétrons dans un mystère. Mystère de cette femme au nom inconnue qui dit sa soif. Mystère de cet homme Jésus qui a soif lui aussi mais d'abreuver cette samaritaine d'une « source d'eau jaillissant pour la vie éternelle » lui dit-il. Mystère de cette eau que Jésus offre à boire qu'il a pour elle et qu'il veut pour elle. Parce qu'il sait que cette eau c'est lui qui la possède et qu'il veut faire d'elle comme un puits. Il désire déposer en son fond son eau vive et creuse en elle ce désir.

Pour creuser, lui révèle-t-il qu'il la connaît : « Tu as raison de dire que tu n'as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq... » et elle voit alors qu'il est prophète. Et ce prophète lui révèle plus encore que l'heure vient d'adorer le Père en esprit et en vérité où il n'y aura plus à aller ni sur cette montagne ni à Jérusalem. Et la samaritaine de savoir surtout qu'il vient le Messie, celui qu'on appelle Christ qui fera connaître toutes choses. Elle sait aussi désormais que cet homme, ce juif, ce prophète lui a fait connaître qu'il connaissait toutes choses d'elle. Du fond de son cœur, jaillit l'eau vive qui lui fait reconnaître le Christ. Désormais, la cruche peut rester à la surface du puits, l'eau déposée en la samaritaine, en son fond est devenue une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle. Elle est un puits vivant et revient à la ville pour dire : « Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »

Frères et sœurs, comme avec la samaritaine, le Seigneur est là, caché au milieu de notre traversée du désert. Il est là, présent à notre vie en quête de fraternité et de communion. Il est là, présent à notre monde en quête de paix et de justice. Il est là, caché à la surface de notre exode quêtant notre désir pour y creuser un passage en profondeur. Comme avec la samaritaine, il nous invite à abandonner les puits aux eaux stagnantes de nos craintes, de nos histoires et de nos peurs. Mais comme avec la samaritaine, ce puits ne se décèle dans notre cœur avec son eau vive qu'à la mesure où nous nous quittons nous-mêmes toujours au détour de l'autre. Quitter nos idées reçues, nos préjugés, nos certitudes sur l'autre, quitter notre quant-à-soi sans cesse. Marcher à la rencontre de l'autre par le dialogue et par l'écoute pour que se décèle peut-être le puits de celui qui vient en esprit et en vérité nous révéler sa présence par l'autre et nous en abreuver par l'autre et faire de nous aussi alors des puits vivants pour les autres. Amen.


fr. Nathanaël
https://www.encalcat.com/3-dimanche-de-careme-

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