Il s’assied auprès de la mer, pour prendre comme à
l’hameçon et au filet les habitants de la terre. Et ce n’est pas sans
grande raison que l’évangéliste rapporte cette circonstance, comme pour
marquer que Jésus-Christ s’était placé dans cette assemblée du peuple,
d’une telle manière, qu’il avait tous ses auditeurs en face, sans qu’il y
en eût un seul derrière lui.
« Et une grande multitude s’assembla autour de
lui, de sorte que montant dans une barque il s’y assit, tout le peuple
se tenant sur le rivage. Et il leur disait beaucoup de choses en
paraboles.
Celui qui sème est sorti pour aller semer . D'où est « sorti » celui qui est présent partout et qui remplit
tout? Comment a-t-il pu sortir et où a-t-il pu aller ? Mais quand
Jésus-Christ s’est approché de nous par son incarnation, il ne l’a pas
fait en passant d’un lieu en un autre, mais en se faisant homme et en se
rendant visible à nous.. Il est venu pour en être le laboureur lui-même;
pour rendre cette terre fertile, en la cultivant avec soin, et pour y
semer sa parole comme une semence précieuse de vertu et de piété. Car
j’entends ici par cette « semence » sa parole; par la « terre » qui la
reçoit, nos âmes, et il est lui-même «
celui qui la sème. » Mais que devient enfin cette semence? Il s’en perd trois parties, et il ne s’en
sauve qu’une.
En semant, une partie de la semence tomba le
long du chemin, et les oiseaux vinrent et la mangèrent. Il ne dit
pas qu’il ait lui-même jeté cette semence hors du chemin, mais qu’elle y
est tombée.
Une autre tomba dans des lieux pierreux, où
elle n’avait pas beaucoup de terre, et elle leva aussitôt, la terre où
elle était ayant peu de profondeur.
Le soleil s’étant levé ensuite,
elle en fut brûlée; et comme elle n’avait pas beaucoup de racine, elle
se dessécha .
Une autre tomba dans les épines, et les épines crurent
et l’étouffèrent.
Une autre partie de la semence tomba dans une
bonne terre, et elle fructifia; quelques grains rendant cent pour un,
d’autres soixante, et d’autres trente .
Que celui-là l’entende qui a
des oreilles pour entendre. Il n’y a que cette quatrième partie de
toute la semence qui se sauve, et encore même avec beaucoup d’inégalité
et de différence. Jésus-Christ voulait dire par là qu’il offrait
indifféremment à tous les instructions de sa parole. Car comme un
laboureur ne choisit point en semant, et ne fait aucun discernement
d’une terre d’avec une autre, mais répand sa semence également partout,
Jésus-Christ de même, en prêchant, ne faisait point de distinction entre
le riche et le pauvre, entre le savant et l’ignorant, entre l’âme
ardente et celle qui était lâche et paresseuse. Il semait de même sur
tous les coeurs, et il faisait de son côté tout ce qu’il devait faire,
quoi qu’il n’ignorât pas quel devait être le succès de son travail. Après
cela il pourra dire véritablement : « Qu’ai-je dû faire que je n’aie
point fait? », Isaïe, XIII, 9. Les prophètes comparent partout le
peuple à une vigne. Isaïe dit: « Il est devenu comme une vigne. », Isaïe, V. Et David dit: « Vous avez « transféré votre vigne de
l’Egypte. », Ps. LXXIX, 13. Et Jésus-Christ le compare à un champ semé,
pour marquer que les hommes allaient à l’avenir lui obéir avec plus de
promptitude et que la terre porterait bientôt d’excellents fruits.
Ces paroles: « Celui qui sème est sorti pour
aller semer, » ne doivent pas être regardées comme une redite. Car un
laboureur sort souvent pour d’antres choses que pour semer. Il sort pour
labourer et pour cultiver la terre. Il sort pour en arracher les épines
et toutes les mauvaises herbes, ou pour d’autres sujets semblables;
mais Jésus-Christ n’est sorti que pour semer. D’où vient donc, mes
frères, qu’une si grande partie de cette semence se perd ? Il n’en faut
pas accuser celui qui sème, mais la terre qui reçoit cette semence,
c’est-à-dire l’âme qui n’écoute point cette divine parole. Pourquoi ne
dit-il pas plutôt que les lâches ont reçu cette semence et l’ont laissé
perdre ? que les riches l’ont reçue et l’ont étouffée ? que ceux qui
vivaient dans la mollesse l’ont reçue et qu’ils l’ont rendue inutile ?
Jésus-Christ ne veut pas parler si clairement pour ne point porter ces
peuples au désespoir. Il veut les laisser à eux-mêmes, et il veut que ce
soit leur propre conscience qui les justifie ou qui les condamne.
Ce qui arrive ici à la semence dont une partie
se perd, arrive aussi ensuite à la pêche, où l’on rejette une partie des
poissons qu’on avait pris.
Jésus-Christ dit à dessein cette parabole à ses
disciples, pont les fortifier par avance et pour les avertir que si dans
la suite des temps ils voyaient beaucoup de ceux à qui ils auraient
prêché l’Evangile, se perdre, ils ne devaient pas pour cela se
décourager, puisque la même chose était arrivée à Jésus-Christ, qui,
sachant le peu de succès que devait avoir la divine semence, n’avait pas
néanmoins laissé de semer.
Mais comment peut-on concevoir, me dites-vous,
qu’on sème sur des épines, sur des pierres et dans des chemins ? Je vous
réponds que cela serait ridicule à l’égard d’une semence matérielle
qu’on jette sur la terre; mais à l’égard de nos âmes et de la parole de
Dieu, c’est une chose qui ne peut être que très louable. On blâmerait
très-justement un laboureur s’il perdait ainsi sa semence, parce que les
pierres ne peuvent devenir de la terre et que les chemins ne peuvent
cesser d’être des chemins, ni les épines d’être des épines. Mais il n’en
est pas ainsi de nos âmes Les pierres les plus dures peuvent se changer
en une terre très-fertile. Les chemins les plus battus peuvent n’être
plus foulés aux pieds, ni exposés à tous les passants, mais devenir un
champ bien préparé et bien cultivé. Les épines peuvent disparaître pour
faire place à la semence, afin que le grain croisse et pousse en haut,
sans qu’il trouvé rien qui l’empêche de monter.
Si ces changements étaient impossibles, le
semeur divin n’aurait jamais rien semé dans le monde. Et
s’ils ne sont pas arrivés dans toutes les âmes, ce n’est point la faute
du laboureur, mais de ceux qui n’ont pas voulu se changer. Il a accompli
avec un soin entier ce qui dépendait de lui. Si les hommes, au lieu de
correspondre à son ouvrage; l’ont au contraire détruit en eux-mêmes, il
n’est point responsable de leur perfidie, après qu’il a témoigné tant de
bonté et tant d’affection envers les hommes.
Mais remarquez ici, je vous prie, qu’on ne se
perd pas en une seule manière, mais en plusieurs qui sont différentes
l’une de l’autre.
Ceux qui sont comparés « au chemin», sont les
paresseux, les lâches et les négligents.
Ceux qui sont figurés « par la
pierre», sont ceux qui tombent seulement par faiblesse: « Celui, » dit
l’Evangile, « qui est semé sur les pierres est celui qui écoute la
parole, et la reçoit aussitôt avec joie, mais il n’a point de racine en
lui-même et n’a cru que pour un temps, et lorsqu’il s’élève quelque
persécution à cause de la parole, il se scandalise, aussitôt. Lorsqu’un
homme écoute la parole de Dieu et n’y donne point d’attention, l’esprit
malin vient ensuite, et il enlève ce qui avait été semé dans son coeur.
C’est là celui qui est marqué par la semence qui tombe le long du,
chemin. » Ce n’est pas un crime égal de renoncer à la parole de
l’Evangile, lorsque personne ne nous y contraint par ses persécutions,
ou de le faire seulement en cédant à la force et à la violence.
Mais ceux qui sont figurés «par les épines» sont encore bien plus coupables que les autres.
Afin donc, mes frères, que nous ne tombions
point dans ces malheurs, cachons cette divine semence dans le fond de
notre âme et conservons-la comme un trésor précieux dans notre mémoire.
Si le malin fait ses efforts pour nous la ravir, il dépend de nous
d’empêcher qu’il ne nous l’ôte. Si cette semence se sèche, cela ne vient
point de l’excès de la chaleur; Jésus-Christ ne dit point que ce soit
le grand chaud qui produise cet effet; mais il dit : « Parce qu’elle n’a
point de racine. » Si cette parole est étouffée, il n’en faut
point accuser les épines, mais celui qui les laisse croître. On petit
couper si l’on veut cette tige malheureuse et se servir utilement de ses
richesses. C’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas simplement « le
siècle; » mais « les soins du siècle; » ni « les richesses» en général,
«mais la tromperie des richesses. »
N’accusons donc point les choses en elles-mêmes,
mais l’abus que nous en faisons et la corruption de notre esprit. On
peut être riche sans se laisser surprendre par les richesses. On peut
demeurer dans le monde sans être accablé de ses soins. Les richesses ont
deux maux qui sont opposés l’un à l’autre; l’un d’exciter notre avarice
et d’allumer nos désirs, et l’autre de nous rendre lâches et mous. Et
c’est avec grande raison que Jésus-Christ attribue cette «tromperie »
aux richesses. Car il n’y a rien dans les richesses que de trompeur. Ce
n’est qu’un nom vain qui n’a rien de solide et de véritable. Le
plaisir, la gloire, la beauté et toutes les choses semblables ne sont
que des fantômes, qui n’ont point d’être et de subsistance.
Enfin, après avoir marqué ces différentes
manières, par lesquelles les hommes se perdent, il commence
aussitôt à parler « de la bonne terre, » pour nous empêcher de tomber
dans le désespoir et pour nous donner une sainte confiance que nous
pourrons nous sauver par une pénitence sincère, et passer de ces trois
états marqués par ces trois sortes de terre en un quatrième, où l’âme
devient une bonne, une excellente terre.
Mais pourquoi, la terre étant bonne, la semence
étant la même, ainsi que le laboureur qui la répand, un grain néanmoins
en porte-t-il, l’un « cent, » l’autre « soixante, » et l’autre « trente ?
» Cela ne vient que de la différence de la terre. Car, bien qu’elle
soit toute bonne, elle ne laisse pas d’admettre divers degrés de bonté.
Ainsi cette inégalité ne vient ni du laboureur, ni de la semence, mais
de la terre qui la reçoit, non selon la différence de sa nature, mais
selon la différente disposition de la volonté. Et ce qui fait paraître
encore la grande miséricorde de Dieu envers les hommes, c’est qu’il
n’exige pas de tous un même degré de vertu, mais qu’eu recevant avec
joie les premiers, il ne rejette ni les seconds ni les troisièmes.
Le but qu’il avait en tout ceci, était de
persuader ses disciples qu’il ne suffit pas d’écouter sa parole .
Pourquoi donc, direz-vous, Jésus-Christ ne parle-t-il point des autres
passions comme de l’impureté et de la vaine gloire? Je vous réponds
qu’il a tout compris dans ces deux mots « des inquiétudes du siècle, et
de la tromperie des richesses; car la vaine gloire et toutes les autres
passions sont des ruisseaux de ces deux sources. Il y joint encore ceux
qui sont figurés « par la « pierre » et « par le chemin, » pour montrer
qu’il ne suffit pas de renoncer à ses richesses, mais qu’il faut encore
pratiquer les autres vertus. Car, que vous servirait-il d’être dégagé de
l’argent, si vous êtes négligent et lâche ? Que vous servirait-il de
même d’être fervent et généreux dans le reste si vous êtes paresseux à
écouter la parole de Jésus-Christ ?
On ne se sauve point en ne pratiquant la vertu
qu’à demi.
Il faut premièrement écouter avec ardeur et retenir avec soin
les vérités de l’Evangile.
Il faut ensuite les pratiquer avec force et
avec courage, et enfin mépriser l’argent, renoncer aux richesses, et
fouler aux pieds toutes les choses de cette vie.
L’enchaînement de
toutes ces vertus commence par l’application à écouter la parole de Dieu
C’est le premier pas pour le salut. « Comment croiront-ils, » dit saint
Paul, « s’ils n’entendent? », Rom. X, 14) Je vous dis aussi la même
chose. Comment pratiquerons-nous ce que Dieu nous ordonne, si nous
n’écoutons ce qu’il nous dit ? Mais après ce premier degré, Dieu exige de
nous le courage et la vigueur, et un mépris général pour toutes les
choses d’ici-bas,
... Ne nous consolons donc pas de ce que nous ne
perdons point le fruit de la parole divine de toutes les manières que
nous le pourrions; mais pleurons plutôt de ce que nous la laissons périr
en quelque manière que ce puisse être. Portons le feu dans ces «épines,
» et dans ces ronces. Ce sont ces tiges malheureuses qui étouffent
cette divine semence. Les riches ne le savent que trop, eux que leurs
richesses rendent incapables non-seulement de la vertu, mais même de
tout le reste. Aussitôt qu’ils se sont rendus les esclaves de leurs
plaisirs, ils ne peuvent plus s’appliquer aux affaires même de ce monde,
et encore bien moins aux choses du ciel qui regardent le salut. Car
leur esprit est attaqué en même temps d’une double peste, par les
passions qui le corrompent, et par les inquiétudes qui le déchirent.
Chacune de ces deux causes suffit pour les perdre. Lors donc qu’elles se
joignent ensemble, dans quel abîme les doivent-elles jeter ?
Et ne vous étonnez pas que Jésus-Christ donne
le nom d’ « épines aux plaisirs de la vie. » Vous êtes trop charnel et
trop enivré de vos passions pour comprendre cette vérité. Mais ceux qui
renoncent à ces faux plaisirs, savent que les délices ont des pointes
plus perçantes et plus mortelles que toutes les épines que nous voyons,
et qu’elles perdent encore plus l’âme et le corps même, que les soins et
les embarras du monde.
Il n’y a point de chagrins et d’inquiétudes, qui
nuisent autant à l’esprit, que l’excès de la bonne chair nuit à notre
corps. Car ces excès engendrent enfin les maladies, les insomnies et les
autres maux de tête, d’oreilles et d’estomac, ce que les épines ne
peuvent faire. Comme on se met toutes les mains en sang lorsqu’on presse
des épines; ces excès de même et ces délices perdent toutes les parties
du corps, et leur venin se répand sur la tête, sur les yeux, sur les
mains, et sur les pieds. Comme les épines sont stériles, les délices le
sont aussi; et elles causent une perte bien plus grande, et dans des
choses bien plus importantes. Car elles avancent la vieillesse, elles
interdisent les sens, elles étouffent la raison, elles aveuglent l’âme
la plus éclairée; elles rendent le corps lâche et efféminé, elles le
remplissent d’un amas d’ordures et de saletés. Elles lui causent mille
mauvaises humeurs, et elles deviennent une source de corruption et de
pourriture.
...
Vous ressemblez à un homme qui aurait entre les
mains un luth parfaitement beau dont les cordes seraient de fil d’or, et
qu’on regarderait comme un chef-d’oeuvre de l’art, et qui au lieu de se
servir de cet instrument pour la fin à laquelle il est destiné, le
remplirait d’ordure et de boue. C’est là proprement le désordre où vous
tombez. Car j’appelle de l’ordure et de la boue, non la nourriture en
elle-même, mais l’abus que vous en faites par votre intempérance et par
votre luxe.
...
Comprenons donc ces vérités, mes frères, fuyons
le luxe et les délices, aimons la sobriété et la vie réglée, pour jouir
dans le corps et dans l’âme d’une parfaite santé, et pour obtenir
ensuite les biens à venir, par la grâce et par la miséricorde de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Mar
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