
Lettre à un ami, Raoul-le-Verd, prévôt de Reims
… Nous jouissons de la santé du corps et nous voudrions pouvoir en affirmer autant de la santé de l’âme. Notre état extérieur est satisfaisant et répond à nos désirs ; mais ce que je souhaite et ce que je demande, c’est que la divine Miséricorde étende sa main pour guérir toutes les infirmités de mon intérieur, et pour me rassasier de ses biens.
J’habite un désert situé en Calabre et assez éloigné de tout voisinage des hommes. J’y suis en compagnie de mes frères religieux, dont quelques uns ont une grande science. Leurs efforts tendent à prolonger sans relâche les saintes veilles et à rester dans l’attente du Seigneur…
Comment pourrai-je parler dignement de notre sollicitude, avec sa riante situation, avec son air doux et tempéré ?... Nous ne manquons ni de jardins fertiles, ni d’arbres aux fruits nombreux et variés. Mais pourquoi m’arrêter là-dessus ? L’homme sage a d’autres plaisirs plus délicats et plus utiles qu’il trouve en Dieu. Pourtant, quand l’âme a été fatiguée par une rude discipline et par des études spirituelles, il est bon qu’elle puisse se relever et respirer, car si l’arc est toujours tendu, il se relâche et devient inutilisable.
Quant au profit et à la joie qu’apportent la solitude et le silence à ceux qui les aiment, seuls ceux qui l’ont expérimenté le savent. C’est là que des hommes généreux peuvent rester en eux-mêmes autant qu’il leur plaît, habiter avec eux-mêmes, cultiver sans relâche, les germes de vertus, et savourer avec bonheur les fruits du paradis. Là s’acquiert ce regard plein de sérénité, cet œil pur et lumineux qui voit Dieu. Là, le repos s’unit au travail, l’activité est sans agitation ni trouble. Là, Dieu, en retour des combats que soutiennent pour lui ses amis, leur donne la Paix qu’ils désirent, la Paix que le monde ignore et la Joie du Saint Esprit…
Ah ! Plaise à Dieu, frère bien-aimé, que vous soyez épris de tant d’attraits, et que vous sentiez l’amour de Dieu réchauffer et brûler votre cœur ! Si une fois cette passion s’empare de vous, vous mépriserez aussitôt les charmes de la gloire mondaine et vous rejetterez aisément le fardeau des richesses qui accablent l’esprit de tant de soucis…
Je vous souhaite ardemment de vivre en bonne santé jusqu’à un âge avancé, sans oublier nos avis ni le vœu que vous avez fait… Adieu !
Son action et son œuvre par l’abbé Gorse, 1902, 230-234.
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