St Jean 10,11-18
St Jean 10,27-38En ce temps-là, Jésus dit aux pharisiens : « Je suis le Bon Pasteur. Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, celui qui n’est pas le pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit. Et le loup les emporte et les disperse. Le mercenaire s’enfuit parce qu’il est mercenaire et qu’il ne se soucie pas des brebis. Je suis le Bon Pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père. Et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura une seule bergerie et un seul Pasteur ».
Vous avez entendu, frères très chers, l’instruction qui
vous est adressée par la lecture d’Evangile ; vous avez entendu aussi le péril
que nous courons. Voici en effet que celui qui est bon, non par une grâce
accidentelle, mais par essence, déclare : « Je
suis le Bon Pasteur ». Et nous donnant le modèle de la bonté que nous
devons imiter, il ajoute : « Le Bon
Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Il a fait ce qu’il nous a
enseigné ; il a montré ce qu’il nous a ordonné. Le Bon Pasteur a donné sa vie
pour ses brebis au point de changer son corps et son sang en sacrement pour
nous, et de rassasier par l’aliment de sa chair les brebis qu’il avait
rachetées. Il nous a tracé la voie du mépris de la mort, pour que nous la
suivions ; il a placé devant nous le modèle auquel nous devons nous conformer :
dépenser d’abord nos biens extérieurs en toute charité pour les brebis du
Seigneur, et si nécessaire, donner même à la fin notre vie pour elles. La
première forme de générosité, qui est moindre, conduit à cette dernière, qui
est plus élevée. Mais puisque l’âme, par laquelle nous vivons, est
incomparablement supérieure aux biens terrestres que nous possédons au-dehors,
comment celui qui ne donne pas de ses biens à ses brebis serait-il disposé à
donner sa vie pour elles ? Car il en est qui ont plus d’amour pour les
biens terrestres que pour les brebis, et qui perdent ainsi à bon droit le nom
de pasteur. C’est d’eux que le texte ajoute aussitôt après : « Le mercenaire, celui qui n’est pas le
pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il
abandonne les brebis et s’enfuit ».
Il n’est pas appelé pasteur, mais mercenaire, celui qui fait paître les brebis du Seigneur, non parce
qu’il les aime du fond du cœur, mais en vue de récompenses temporelles. Il est
mercenaire, celui qui occupe la place du pasteur, mais ne cherche pas le profit
des âmes. Il convoite avidement les avantages terrestres, se réjouit de
l’honneur de sa charge, se repaît de profits temporels et se complaît dans le
respect que lui accordent les hommes. Telles sont les récompenses du mercenaire
: il trouve ici-bas le salaire qu’il désire pour la peine qu’il se donne dans
sa charge de pasteur, et se prive ainsi pour l’avenir de l’héritage du
troupeau. Tant que n’arrive aucun malheur, on ne peut pas bien discerner s’il
est pasteur ou mercenaire. En effet, au temps de la paix, le mercenaire garde
ordinairement le troupeau tout comme un vrai pasteur. Mais l’arrivée du loup
montre avec quelles dispositions chacun gardait le troupeau. Un loup se jette
sur les brebis chaque fois qu’un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles
et les humbles. Celui qui semblait être le pasteur, mais ne l’était pas,
abandonne alors les brebis et s’enfuit, car craignant pour lui-même le danger
qui vient du loup, il n’ose pas résister à son injuste entreprise. Il fuit, non
en changeant de lieu, mais en refusant son assistance. Il fuit, du fait qu’il
voit l’injustice et qu’il se tait. Il fuit, parce qu’il se cache dans le
silence. C’est bien à propos que le prophète dit à de tels hommes : « Vous n’êtes pas montés contre
l’ennemi, et vous n’avez pas construit de mur autour de la maison d’Israël pour
tenir bon dans le combat au jour du Seigneur »,
Ez 13, 5. Monter contre
l’ennemi, c’est s’opposer par la voix libre de la raison à tout homme puissant
qui se conduit mal. Nous tenons bon au jour du Seigneur dans le combat pour la
maison d’Israël, et nous construisons un mur, quand par l’autorité de la
justice, nous défendons les fidèles innocents victimes de l’injustice des
méchants. Et parce que le mercenaire n’agit pas ainsi, il s’enfuit lorsqu’il
voit venir le loup.
Mais il y a un autre
loup, qui ne cesse chaque jour de déchirer, non les corps, mais les âmes : c’est l’esprit malin. Il rôde en
tendant des pièges autour du bercail des fidèles, et il cherche la mort des
âmes. C’est de ce loup qu’il est question tout de suite après : « Et le loup emporte les brebis et
les disperse ». Le loup vient et le mercenaire fuit, quand l’esprit
malin déchire les âmes des fidèles par la tentation et que celui qui occupe la
place du pasteur n’en a pas un soin attentif. Les âmes périssent, et il ne
pense, lui, qu’à jouir de ses avantages terrestres. Le loup emporte les brebis
et les disperse : il entraîne tel homme à la luxure, enflamme tel autre d’avarice,
exalte tel autre par l’orgueil, jette tel autre dans la division par la colère;
il excite celui-ci par l’envie, renverse celui-là en le trompant. Comme le loup
disperse le troupeau, le diable fait mourir le peuple fidèle par les
tentations. Mais le mercenaire n’est enflammé d’aucun zèle ni animé d’aucune
ferveur d’amour pour s’y opposer : ne recherchant en tout que ses avantages
extérieurs, il n’a que négligence pour les dommages intérieurs du troupeau.
Aussi le texte ajoute-t-il aussitôt : « Le
mercenaire s’enfuit parce qu’il est mercenaire et qu’il ne se soucie pas des
brebis ». En effet, la seule raison pour laquelle le mercenaire
s’enfuit, c’est qu’il est mercenaire. C’est comme si l’on disait clairement : « Demeurer au milieu des brebis en
danger est impossible à celui qui conduit les brebis, non par amour des brebis,
mais par recherche de profits terrestres ». Car du fait qu’il
s’attache aux honneurs et se complaît dans les avantages terrestres, le
mercenaire hésite à s’opposer au danger, pour ne pas perdre ce qu’il aime.
Après nous avoir montré les fautes du faux pasteur, notre Rédempteur revient
sur le modèle auquel nous devons nous conformer, quand il affirme : « Je suis le Bon Pasteur ». Et
il ajoute : « Je connais mes brebis — c’est-à-dire : je les aime — et mes brebis me
connaissent », comme pour dire clairement : « Elles me servent en
m’aimant ». Car il ne connaît pas encore la Vérité, celui qui ne l’aime
pas.
Maintenant que vous avez entendu, frères très chers, quel
est notre péril, considérez également, dans les paroles du Seigneur, quel est
le vôtre. Voyez si vous êtes de ses brebis, voyez si vous le connaissez, voyez
si vous percevez la lumière de la Vérité. Précisons : si vous la percevez, non
par la seule foi, mais par l’amour. Oui, précisons : si vous la percevez, non
en vous contentant de croire, mais en
agissant. En effet, le même évangéliste Jean qui parle dans l’évangile de
ce jour déclare ailleurs : « Celui qui dit connaître Dieu, mais ne
garde pas ses commandements, est un menteur »,
1 Jn 2, 4. C’est pourquoi ici le Seigneur
ajoute aussitôt : « Comme le Père me
connaît et que je connais le Père. Et je donne ma vie pour mes brebis ». C’est
comme s’il disait clairement : « Ce qui prouve que je connais le Père et
que je suis connu du Père, c’est que je donne ma vie pour mes brebis ; je
montre combien j’aime le Père par cette charité qui me fait mourir pour mes
brebis ». Mais parce qu’il était venu racheter, non seulement les Juifs,
mais aussi les païens, il ajoute : « J’ai
encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là aussi, il
faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura une seule
bergerie et un seul Pasteur ». C’est notre rédemption à nous, venus
des peuples païens, que le Seigneur avait en vue lorsqu’il parlait de conduire
aussi d’autres brebis. Et cela, mes frères, vous pouvez en constater chaque
jour la réalisation. C’est ce que vous voyez aujourd’hui accompli dans la
réconciliation des païens. Il a pour ainsi dire constitué une seule bergerie
avec deux troupeaux, en réunissant les peuples juif et païen dans une même foi
en sa personne, comme l’atteste Paul par ces paroles : « Il est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait
qu’un », Ep 2, 14.
Il conduit les brebis à sa propre bergerie quand il choisit pour la vie
éternelle des âmes simples de l’un et l’autre peuple. C’est de ces brebis que
le Seigneur dit ailleurs : « Mes
brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent, et je leur
donne la vie éternelle », Jn 10, 27-28. C’est d’elles qu’il déclare un
peu plus haut : « Si quelqu’un entre
par moi, il sera sauvé, et il entrera et il sortira, et il trouvera des
pâturages », Jn 10, 9. Il entrera en venant à la foi ;
il sortira en passant de la foi à la vision face à face, de la croyance à la
contemplation; et il trouvera pour s’y rassasier des pâturages d’éternité (suite et fin du sermon de Saint Grégoire le Grand).
(Début du sermon de Saint Grégoire le Grand) « Les brebis du Seigneur
trouvent des pâturages, puisque tous ceux qui le suivent d’un cœur simple se
rassasient en pâturant dans des prairies éternellement vertes.
Et quels sont les pâturages de ces brebis, sinon les joies intérieures d’un paradis à
jamais verdoyant ? Car les pâturages des élus sont la présence du visage de Dieu, dont une contemplation ininterrompue
rassasie indéfiniment l’âme d’un aliment de vie. Ceux qui ont échappé aux
pièges du plaisir fugitif goûtent, dans ces pâturages, la joie d’un éternel
rassasiement. Là les chœurs des anges chantent des hymnes; là sont réunis les
citoyens du Ciel. Là se célèbre une fête solennelle et douce pour ceux qui
reviennent de ce triste et pénible exil terrestre. Là se rencontrent les chœurs
des prophètes qui ont prévu l’avenir; là siège pour juger le groupe des apôtres
; là est couronnée l’armée victorieuse des innombrables martyrs, d’autant plus
joyeuse là-haut qu’elle a été plus cruellement éprouvée ici-bas; là, les
confesseurs sont consolés de leur constance par la récompense qu’ils reçoivent;
là se rencontrent les hommes fidèles dont les voluptés du monde n’ont pu
amollir la robuste virilité, là les saintes femmes qui, outre le monde, ont
vaincu la faiblesse de leur sexe, là les enfants qui ont devancé le nombre des
années par la maturité de leurs mœurs, là enfin les vieillards que l’âge a
rendus si faibles, sans pourtant leur faire perdre le cœur à l’ouvrage.
Recherchons donc,
frères très chers,
ces pâturages où nous partagerons la fête et la joie de tels concitoyens. Le
bonheur même de ceux qui s’y réjouissent nous y invite. N’est-il pas vrai que
si le peuple organisait quelque part une grande foire, ou qu’il accourait à
l’annonce de la dédicace solennelle d’une église, nous nous empresserions de
nous retrouver tous ensemble ? Chacun ferait tout pour y être présent, et
croirait avoir beaucoup perdu s’il n’avait eu le spectacle de l’allégresse
commune. Or voici que dans la cité céleste, les élus sont dans l’allégresse et
se félicitent à l’envi au sein de leur réunion; et cependant, nous demeurons
tièdes quand il s’agit d’aimer l’éternité, nous ne brûlons d’aucun désir, et
nous ne cherchons pas à prendre part à une fête si magnifique. Et privés de ces
joies, nous sommes contents !
Réveillons donc nos
âmes, mes frères
! Que notre foi se réchauffe pour ce qu’elle a cru, et que nos désirs
s’enflamment pour les biens d’en haut : les aimer, c’est déjà y aller. Ne
laissons aucune épreuve nous détourner de la joie de cette fête intérieure :
lorsqu’on désire se rendre à un endroit donné, la difficulté de la route,
quelle qu’elle soit, ne peut détourner de ce désir. Ne nous laissons pas non
plus séduire par les caresses des réussites. Combien sot, en effet, est le
voyageur qui, remarquant d’agréables prairies sur son chemin, oublie d’aller où
il voulait. Que notre âme ne respire donc plus que du désir de la patrie
céleste, qu’elle ne convoite plus rien en ce monde, puisqu’il lui faudra
assurément l’abandonner bien vite. Ainsi, étant de vraies brebis du céleste
Pasteur, et ne nous attardant pas aux plaisirs de la route, nous pourrons, une
fois arrivés, nous rassasier dans les pâturages éternels ».
Notredamedesneiges.over-blog.com
Extrait
d’un Sermon sur le Bon Pasteur, par le Pape Saint Grégoire le Grand,
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