Le silence une expérience spirituelle, soeur Jeanine Gindrey

Conseil de congrégation 2-23 décembre 2019                    

 " Vous voyez que dans les Constitutions, on s'occupe des détails du silence. La Sainte Église regarde que dans la vie contemplative le silence est une chose de première importance. En ce moment, pour éviter que l'on y manque à cause du travail matériel, je n'ai pas établi de lieux réguliers. Il n'en est pas moins vrai qu'il faut y faire attention. Et j'ai de la peine quand j'entends qu'on y manque, quand on a des éclats de rire trop forts même quand on n'est pas en silence, car il est dit dans les Constitutions qu'on doit être gaies, joyeuses, simples pendant la récréation, mais qu'on doit éviter tout ce qui est contraire à la modestie religieuse, de même qu'il est dit que pendant le petit silence on doit parler à voix basse. Tous ces détails sont infiniment respectables. On n'y fait pas assez attention : on laisse battre les portes, on remue les chaises, les tabourets,  il n'y a pas le zèle qu'on doit avoir dans la vie contemplative », Instruction du 25 septembre 1920  - Directoire - Troisième partie - Ch III – De la Règle.

 

… «Le silence extérieur est certainement recommandé dans la vie religieuse, mais c'est surtout le silence intérieur qui est demandé. Le silence extérieur en est la sauvegarde, et je vous le recommande. Le silence intérieur est celui qu'on garde en union avec Notre-Seigneur, il faut vivre en silence dans le cœur de Notre-Seigneur et ne pas chercher autre chose qui nous détourne des vraies fontaines du Sauveur où nous devons puiser.... », Mère Isabelle, Instruction du 12 Juin 1915 - Constitutions - Chapitre XII  -  Du silence.

 

Le silence est à vivre comme une attitude fondamentale du Verbe incarné, et une manière de nous mettre à la suite du Christ.

Le silence de la nuit de Bethléem, Lc 2,1-14 se prolonge pendant toute la vie de Jésus.
Le silence de sa longue vie cachée à Nazareth est à la source du jaillissement de sa prédication. Et celle-ci se nourrit de la communion au Père vécue dans la solitude du désert et des nuits de prière.

Nous pouvons contempler le silence intérieur de Jésus qui domine les esprits, les tempêtes, et bien des agitations humaines. L’incompréhension de ses amis et de ses ennemis le conduit au silence extrême de sa passion et de sa mort.

« Jésus se taisait », Mt 26,63 ; 27,12-14.

« Brutalisé, il n’ouvre pas la bouche », Is 53,7.

Devant l’injustice des hommes, le Christ est le serviteur fidèle, remettant sa cause entre les mains de Dieu.

Silence de Jésus devant Pilate.                          

Silence du Père ressenti par Jésus à Gethsémani et sur la Croix. Le silence du Vendredi Saint vécu sous le mode de l’absence empêche pendant un temps d’entrevoir où il conduit, à la vie en plénitude.

Silence du tombeau... où rien ne semble subsister, si ce n’est le vide de la souffrance, de la séparation, le vide d’une espérance inachevée. La Présence devient absence et tout semble perdu.

Le silence de Dieu traverse les jours saints et nous prépare à l’accueil de la Parole du Christ Ressuscité, comme la mort nous prépare à vivre de la plénitude de sa Vie.
C’est dans le silence, la solitude et la nuit que se réalise le triomphe de la Résurrection. Pas de paroles mais le silence du pouvoir de Dieu sur le péché et la mort. La totale union entre Jésus et son Père, la même vie divine du Verbe dans le Père et l’Esprit, est essentiellement silence.


Le silence ne serait-il pas dans notre vie un passage nécessaire à notre ouverture à la manifestation de Dieu ? Rappelons-nous l’Homélie ancienne du  Samedi Saint que nous offre le livre des heures à la veille de Pâques.

- "Que se passe-t-il ? Aujourd’hui grand silence sur la terre - et ensuite solitude - parce que Dieu s’est endormi dans la chair. Il veut visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. C’est vers l’homme captif que Dieu se dirige pour le délivrer. Il le relève en disant : -"C’est moi qui, pour toi, te parle maintenant,- Eveille-toi - Relève-toi - Sois illuminé..."

Le silence n’est rien par lui-même, sinon par le fruit qu’il porte, la parole qu’il engendre. Devant Dieu, la ténèbre n’est pas ténèbre, et le silence comme la Parole illumine le dialogue. Silence de Dieu et silence de l’homme. L’Écriture nous en donne de nombreux exemples.
"Yahvé, ne sois pas muet, Seigneur ne sois pas loin",
Ps 64,22.

Souvent perçu comme un éloignement, voire un abandon, le silence de Dieu ne signifie pourtant pas forcément une interruption du dialogue. Il est le plus souvent le reflet de son infinie  patience.

"Certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir" 2 Pr 3,9.

Aux jours d’infidélité, il nous attend pour renouer le dialogue : - "Va et dis-leur..."

À travers les prophètes, Dieu nous montre une autre forme de son amour patient et silencieux. Pour ne pas effaroucher son peuple tiède ou pécheur, Dieu ne parle pas directement.

Dans d’autres circonstances, parler est indispensable pour ne pas manquer à la confession de Dieu, Mt 26,64. C’est dans cette perspective, "qu’une nuit, dans une vision, le Seigneur dit à Paul : - "Sois sans crainte. Continue de parler, ne te tais pas, Ac 18,9. Dans les formes et les circonstances les plus diverses, la parole du disciple cherche à annoncer la Bonne Nouvelle de l’amour et du salut.

"Ecoute, Israël", Dt 6,4.

Toute Parole de Dieu est une invitation à l’écoute et contient en elle-même la profondeur et le sens du silence.

« Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur », Luc 2,19-51.

Avant d’être exprimée en paroles et en actes, la proclamation de l’Évangile s’enracine dans l’humble silence de l’adoration et de la méditation du cœur. Chemin d’accès au repos, le silence est aussi ouverture à la Révélation que le Seigneur a promis aux petits, «  … », Mt 11,25.

Le silence est une part essentielle du langage de Dieu. Sans silence, Dieu ne peut révéler tout son être, toute sa vérité. Sans silence, il serait impossible à l’homme de percevoir la révélation
de Dieu. Aussi Dieu éduque l’homme au moyen de sa Parole et de son silence. Solitude et silence, communication et parole, expriment sa réalité la plus profonde. Nous ne pouvons que les accueillir ensemble, pour que surgisse le langage de la révélation de Dieu dans nos vies. Acceptons que la révélation de Dieu passe non seulement par notre écoute silencieuse, mais aussi par le silence de Dieu en son apparente absence.

 

Dans la vie religieuse, le silence nous ouvre à la Parole et au silence de Dieu,

le silence nous permet de faire l’expérience de Sa présence invisible.

Dès le monachisme primitif, le silence favorise cette attitude du cœur qui a tout quitté pour centrer toutes ses énergies sur Jésus qui habite l’homme. La méditation de la Parole et la charité avec les frères sont les buts recherchés dans le silence, comme dans la parole. Plus tard, des notions de discipline puis de mortification ont parfois occulté le caractère essentiellement christologique et mystique du silence religieux.

Une difficulté de la méditation pratiquée année après année, c’est qu’elle empêche d’entrer dans le langage de Dieu tissé de Paroles et de silence, et parfois de longs silences.

En guise de conclusion

… «La fidélité amène le recueillement. Il faut le silence d'action en toutes choses. Quand on garde le silence extérieurement, on le garde intérieurement. Il faut que l'âme se tienne unie à Dieu afin d'entendre la voie intérieure. Il ne faut pas d'agitation, on peut troubler la paix intérieure des autres. Notre-Seigneur ne parle pas toujours dans l'oraison, dans la communion. Il le fait quelquefois en dehors de tout exercice religieux, mais il le fait toujours dans le silence ; c'est qu'il parle à l'âme, quand l'âme est attentive », Instruction de Mère Isabelle, Du but de l’Institut, Sceaux, 10 juillet 1920.

Chercher Dieu comme à tâtons


... Le silence tant intérieur qu'extérieur est un des plus puissants moyens de se disposer à la communication intime avec Dieu dans l'oraison, qui est comme l'âme de notre vie. L'âme de notre vie, c'est l'oraison, c'est la prière. Nous voyons dans l'épître tirée des Actes des Apôtres, que Saint Paul, dans son discours à l'Aréopage, dit que nous devons chercher Dieu comme à tâtons.

Certainement Dieu est près de nous, dans notre cœur, et nous pouvons converser avec Lui sans cesse. Nous le cherchons dans un grand silence, car c'est dans le silence que nous le trouvons le mieux. Dans les créatures, on cherche la conversation, les paroles; mais pour Dieu, c'est toujours dans ce silence dont parle Bossuet : "Ce silence où il se dit tant de choses." La voix de Dieu est, pour ainsi dire, souvent comme un léger murmure, on ne l'entend que si on prête une oreille attentive. Nous devons le chercher d'autant plus dans ce silence, dans cette obscurité dont parlent Saint Jean de la Croix et tous les mystiques. Nous devons arrêter sur Lui un simple regard dans l'attention, dans la fidélité extérieure et intérieure. Ce simple regard ne signifie pas l'oisiveté, la distraction. Dès que l'âme s'aperçoit qu'elle est distraite, elle s'empresse de mettre dans son coeur une pensée sainte. Mais quand elle a ramené son esprit, elle n'a pas besoin de toujours produire des pensées, mais d'écouter alors le murmure divin, de ne pas laisser pénétrer [en elle] les bruits du monde, d'avoir cette foi que Dieu est toujours tout près de nous, qu'Il nous entend toujours, que pas un cheveu ne tombe de notre tête sans sa permission.

Il faut vivre ces choses dans le silence de l'âme. Non pas seulement le silence intérieur, mais aussi le silence extérieur. Il faut s'y appliquer, non seulement pour soi-même, mais par charité pour les autres. Il faut pour cela avoir la présence intime de Dieu. Mais si, par maladresse, on manque à ce silence, il faut se laisser envahir par Dieu, marcher en sa présence et oublier tout le reste,
Mère Isabelle, Instruction, Chapitre XII, Du silence, 9 octobre 1915.

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