
En ce dimanche,
Jésus nous propose une parabole
« pour montrer à ses disciples qu’il
faut toujours prier sans se décourager ». Le Seigneur veut souligner
l’importance de la prière, et spécialement l’importance de la
persévérance dans la prière de demande. Si la veuve de cet évangile sait
venir importuner le juge inique au point de le faire fléchir et
d’obtenir satisfaction, combien plus notre prière d’intercession
trouvera dans le cœur de Dieu notre Père un accueil juste et favorable.
Jésus nous promet que la prière tenace trouvera toujours satisfaction.
Cette constance est la qualité essentielle pour celui qui s’engage sur
le chemin de la prière. On pourrait presque dire qu’il n’est pas
difficile de commencer à prier, mais que la difficulté commence
lorsqu’il faut persévérer dans la prière.
Pour surmonter cette difficulté, Jésus nous fournit de manière
discrète la condition essentielle. En effet, la figure qui nous est
donnée pour illustrer la persévérance dans la prière est celle d’une
veuve. Or dans la société antique, les veuves font partie des personnes
les plus vulnérables socialement, car elles ne bénéficient pas de
protection masculine. Cette veuve poursuit le juge de ses réclamations
jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle attend ; et pourtant elle aurait
toutes les raisons de se décourager : sa cause semble bien perdue
d’avance, puisqu’elle a eu la malchance de tomber sur un juge qui se
moque éperdument de la justice.
Mais elle s’obstine d’abord parce qu’elle ne peut pas faire
autrement. Si elle importune le juge, c’est parce qu’elle est dans le
besoin, on retrouve là la béatitude : Heureux, vous les pauvres, le
Royaume de Dieu est à vous. La première condition pour participer au
Royaume de Dieu, c’est de reconnaître notre pauvreté. Ainsi le Seigneur
souligne que la persévérance dans la prière naît de la faiblesse et de
la pauvreté. Pour durer dans la prière, il est plus utile et efficace de
s’appuyer sur notre faiblesse et notre pauvreté que sur nos capacités
et richesses, humaines ou spirituelles. En effet, notre persévérance
naîtra de la reconnaissance de notre dépendance envers Dieu notre Père,
nous avons besoin de sa grâce.
La pauvreté de cœur nous fait reconnaître nos manques et nos besoins,
et la capacité du Seigneur à combler ces manques et ces besoins. La
veuve sait que le juge, même inique, est le seul qui peut lui rendre
justice. De même, nous devons reconnaître que nous dépendons
fondamentalement de Dieu dans notre vie, il en est l’origine et le
terme. Face à nos besoins et à ceux de nos frères, nous sommes
impuissants, incapables de les satisfaire. Prier comme aimer est une
ouverture de soi et un don de soi pour recevoir de l’autre. Ce qui
dépend de nous, c’est l’ouverture de nous-mêmes et le don de nous-mêmes,
mais non de forcer l’autre à la rencontre, au don.
De là, l’attitude du priant est celle de l’attente et de la veille
persévérante avant d’être l’exaltation de la rencontre, de
l’exhaussement. Du côté de l’homme, l’attitude de prière, c’est
l’attente elle-même. Notre attente et notre persévérance ne sont pas des
cris jetés dans le vide, ce n’est pas une bouteille jetée à la mer dont
la probabilité d’être recueillis par Dieu est bien mince. Non. Le roc
de notre attente, ce sont les promesses du Christ, et la présence de
l’Esprit Saint. Le Seigneur est déjà là, il s’agit de nous tourner vers
lui et de demeurer le cœur et les mains ouvertes. Seule cette attitude
de pauvreté dépend de nous, car prier comme aimer ce n’est pas un
exercice de gymnastique où il suffit de faire tel ou tel geste pour
réaliser l’objectif. Prier comme aimer, c’est un don et une expérience
de relations. On peut au mieux se disposer à la prière, faire ce qui
dépend de nous, mais nous ne pouvons réaliser la prière, forcer
l’exhaussement. On se dispose à une rencontre, on veille sans se lasser,
mais seul on ne réalise pas la rencontre, la relation.
Ainsi on ne peut pas se défaire de l’impression de ne pas savoir
prier comme il faut, d’être comme impuissant face à nos demandes. Si
nous pensons savoir prier, peut-être est-ce le signe que nous nous
donnons notre propre prière plus que nous la recevons de l’Esprit Saint.
Il faut presque se résigner à ne pas savoir prier, et garder la
pauvreté de cœur pour rester ouverts au don qui vient. Notre attente
n’est pas une attente d’être satisfait à la fin du temps de prière, mais
une attente de rencontre dont les conditions ne dépendent pas
entièrement de nous. Nous ne savons pas prier parce que nous ne nous
donnons pas la prière. Et nous nous lasserons de prier d’autant plus
vite que nous penserons pouvoir obtenir de nous-mêmes un résultat
tangible. Nous voyons donc que la pauvreté de cœur est à la fois la
condition de la prière persévérante et le fruit spirituelle de cette
persévérance.
La pauvreté de cœur est donc essentielle pour tenir dans la prière,
mais elle est aussi nécessaire pour savoir reconnaître la manière dont
le Seigneur nous exhausse. Car, il peut arriver que ce que nous
demandons ne puisse pas se réaliser pour de multiples raisons. Celui qui
sait garder la pauvreté et l’humilité de cœur saura accueillir ce que
le Seigneur souhaite lui donner, et de la manière dont le Seigneur
souhaite le lui donner. Le pauvre de cœur sait que, s’il peut formuler
quelques demandes, son Père qui est au Ciel a sur lui et sur tous les
hommes un regard et un dessein d’Amour beaucoup plus beau, beaucoup plus
grand que lui. Le pauvre de cœur présente donc inlassablement ses
demandes, mais il reconnaît que mieux que lui le Seigneur désire le bien
de tous ses frères les hommes. Ainsi, le priant, après avoir présenté
ses demandes, fait totalement confiance à notre Père du ciel. Il dit de
tout son cœur la prière que nous avons proclamée au début de cette
Eucharistie : « Fais-nous toujours vouloir ce que tu veux et servir ta
gloire d’un cœur sans partage. »
Que le Seigneur nous fasse cette grâce de la pauvreté du cœur pour
tenir fidèlement dans une prière confiante en son Amour qui peut et veut
le bien pour chacun de nous. Amen !
Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.
https://www.carmel.asso.fr/29eme-Dimanche-T-O-Luc-18-1-8.html